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hot-springs, les paint-pots disséminés un peu partout. Mais deux bassins sont particulièrement importans et intéressans, ce sont le Supérieur et l’inférieur. Ils sont l’un et l’autre fort étendus, et résument assez bien, chacun dans leur genre, les différens aspects que peut présenter ce curieux phénomène naturel. D’après les relations de voyages qu’il est facile de comparer, cette région l’emporte de beaucoup, par l’importance, le nombre et la variété, sur les fameux geysers de l’Islande.

Le bassin Inférieur (Lower Geyser basin) se trouve à deux étapes, à cheval, du Mammouth, et est peu éloigné du bassin Norris, avec lequel il offre certains points de ressemblance. Il présente l’aspect d’une plaine à peu près unie, largement ondulée, sans bosses ni dépressions. Le Norris alterne les flaques d’eau bouillante avec les îlots de verdure où chantent de petits oiseaux bleus, habitans des forêts prochaines qui viennent le jour, comme en villégiature, faire leur saison d’eaux thermales au milieu des sources. L’Inférieur a depuis longtemps accompli toute son œuvre de dévastation ; les dépôts polychromes ont submergé le plateau entier, où plus rien ne pousse, plus rien ne vit. Les petits monticules blancs que foraient les margelles des orifices soulèvent à peine la surface plate de ce champ nivelé. Les geysers sont des bassins à fleur du sol, que signale de loin un faible pli du terrain.

Il en va tout autrement sur le bassin Supérieur ; il est très accidenté lui-même, et les cratères de geysers émergent du sol en blocs rocheux aux formes les plus capricieuses. Ici, la couche des dépôts calcaires s’étend uniformément sur les pentes de plusieurs collines ; elle les moule sous leur manteau blanc et résistant, jusqu’au bas des versans que baigne la rivière bien nommée, la Rivière aux trous à feu (Firehole River). On dirait une chaîne neigeuse, un glacier accidenté, un océan de fait qui se serait congelé en pleine tempête. De toutes parts, la croûte blanche est trouée par des flèches, des rocs, des aiguilles, des bosses qui sont les cols exhaussés des geysers. Leurs dépôts leur font ainsi, à leur ouverture, des entrées monumentales d’une architecture sévère et pittoresque, qui explique et justifie leurs noms : la Grotte, le Château-Fort ou les Ruines.

C’est à Norris qu’on fait connaissance avec les premiers geysers, à une demi-journée de Mammouth. Une tente y est dressée pour le lunch, sur une vaste clairière envahie par un marécage. Il y fait fort froid ; on se presse autour du brasero primitif qui chauffe la maison de toile, puis on va aux geysers. Ils sont disséminés dans la forêt, par places et par flaques. Le groupe le plus important a rongé toute la verdure sur un assez grand espace. Il y en a de toutes sortes, des bassins qui forment de gros bouillons au