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cette femme, et il énumère complaisamment tous ses avantages physiques, ses talens et ses succès. On y reconnaît plus d’un trait emprunté à la XIe et à la VIe idylle :


Il me semblait qu’un charme de beauté était répandu sur moi, comme le lierre s’étend sur l’arbre ; qu’il parait la barbe de mes joues ; que ma chevelure foisonnait sur mes tempes, pareille au sélinum ; qu’un front blanc brillait au-dessus de mes noirs sourcils ; que mes yeux avaient bien plus d’éclat que les yeux étincelans d’Athéné ; que la blancheur de mon corps était plus brillante que celle du lait pressé, et que de mes lèvres ma voix coulait plus douce que le miel ne coule des rayons. Harmonieux sont mes chants quand je fais chanter la syrinx, ou la flûte droite, ou le roseau, ou la flûte obliqué. Toutes les femmes dans la montagne disent que je suis beau et toutes m’embrassent.


Le sujet n’a rien de poétique ; malgré son habileté à jouer de toutes les espèces de flûte pastorale, ce jeune bouvier, qui s’est égaré dans quelque faubourg de la ville voisine, où sans doute il est venu vendre son lait, n’est pas poétique non plus. Aussi est-on un peu surpris d’entendre sortir de sa bouche les noms de Cypris, de Séléné, de Cybèle ou de Rhéa, les divines amantes des bergers Adonis, Endymion et Attis. Cette mythologie inattendue est une nouvelle imitation. Elle est prise de la IIIe idylle, où, il est vrai, c’est un simple chevrier qui rappelle les légendes des déesses et des héros ; mais ce chevrier ne raconte pas sur lui-même une aventure vulgaire, il chante avec son cœur et son imagination, et dans cette charmante pièce, d’un caractère si délicatement tempéré, Théocrite a su montrer encore, au IIIe siècle, comment en Grèce les dieux inspirateurs de la poésie étaient près de la nature et de la naïveté champêtre.

On ne peut en dire autant de l’auteur de la XXe idylle. Ce qu’elle renferme de plus original et de plus vivant, c’est le refus méprisant de la courtisane Euneica et les paroles par lesquelles le berger soulage son dépit. C’est là aussi qu’est toute l’idée du poème. Le poète inconnu a voulu renouveler ces thèmes qui avaient si heureusement inspiré la pastorale de Théocrite. Ces chants, dont l’élégance alexandrine était toute pénétrée des impressions de la campagne et de la mer et comme soulevée par le souffle de la passion ou d’une idéale poésie, se sont réduits à un petit tableau d’une réalité vulgaire, auquel l’invention ingénieuse d’un cas très particulier est destinée à donner du piquant. Ce genre d’effet nous amène assez près des mimïambes d’Hérondas.