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chaîne compliquée qui ferme l’horizon de ses plans successifs, brumeux comme des nuages. Dans la trouée, la Gardner roule et heurte les rocs de ses rapides, blancs d’écume. Des cavaliers sont comme des points noirs sur la route poudreuse de Cinnabar. Entre le Mammouth et le fleuve, s’étend une large plaine, où se soulèvent quelques mamelons verts et rians ; le sol se creuse en crevasses d’où émerge la cime des arbres qui ont pris racine au fond. Le drapeau américain flotte au sommet d’un mât, près du camp dont les tentes blanches animent un coin de la vallée. Au centre, l’hôtel unique allonge sa toiture rouge, ses murailles de bois peint en jaune, et sa galerie couverte où les touristes se reposent après l’excursion sur la montagne d’albâtre.

L’hôtel du Mammouth est le plus important du Parc. C’est lui qui reçoit les voyageurs à leur arrivée de Cinnabar, et qui les renvoie à leur sortie. C’est de là que se fait chaque matin le départ pour la tournée. Une quarantaine d’excursionnistes le quitte tous les jours pour commencer le tour, dans le même sens, au moment où quarante autres rentrent. Le Parc est ainsi sillonné sans cesse par des caravanes qui se suivent à égale distance, et qui se remplacent dans les hôtels de la route.

C’est un manège.

Au Mammouth, si l’on veut prendre quelque repos avant d’entreprendre le voyage, les distractions sont modérées, comme il est vraisemblable qu’elles le soient dans un hôtel qui s’élève au milieu du désert. Le soir, les soldats du camp, dans leur coquet costume qui rappelle nos chasseurs alpins, viennent donner, dans le hall, des concerts de mandolines. Les voyageuses qui sont musiciennes jouent des valses sur un très beau piano à queue. Pendant le jour, la grosse distraction est l’arrivée et le départ des diligences. L’extrême mobilité des touristes fait qu’on est vite de la maison. On est un ancien, quand on est là depuis deux jours. À midi, les « nouveaux » arrivent ; et l’on se sent pour eux, pour leur étonnement et pour leur inexpérience, le même indulgent dédain dont on s’est senti soi-même l’objet, le jour de l’arrivée. Les groupes ont une tendance rapide à l’égoïsme. Après le départ des devanciers pour le Parc, les hôtes de la veille prennent position, ont à leur tour le sourire du gérant, les caresses du molosse, les prévenances des nègres, et les hôtes du jour ont toutes les timidités du conscrit.

Vers la même heure, rentrent ceux qui ont fini la tournée, après être restés absens durant sept jours ; ce sont les ancêtres. À deux heures, ils remontent en voiture pour Cinnabar. C’est un va-et-vient perpétuel, au milieu de la journée. Le reste du temps