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autorisée ; mais il se rattache directement à son école. Ahrens l’attribue à un certain Cyrus, contemporain de Théodose II. C’est se transporter bien loin ; on a pu penser avec quelque vraisemblance à Bion ou à Moschus, surtout au premier, à cause de quelques particularités de la langue. La pièce n’est pas sans valeur, et l’on comprend que Saint-Marc Girardin ne l’ait pas jugée indigne d’une appréciation favorable dans son Cours de littérature dramatique ; mais, ni pour l’originalité, ni pour la vivacité de l’exposition et la grâce du style, elle ne supporte la comparaison avec les idylles de Théocrite, dont elle s’est visiblement inspirée.

La première pensée vient de la XIe et de la VIe idylle, qui ont pour sujet l’amour du Cyclope pour Galatée. Le monstrueux berger y est opposé à la nymphe délicate de la mer, qui se joue de lui et le repousse. « Je sais, ô gracieuse jeune fille, pourquoi tu me fuis. C’est parce que sur tout mon front, d’une oreille à l’autre, s’étend, tout velu, un seul et long sourcil, parce que j’ai un seul œil et qu’un large nez descend sur ma lèvre. » Cependant, le Polyphème de la XIe idylle, qui adresse cet aveu à Galatée, fait valoir, comme compensation, ses richesses pastorales et son talent de musicien et son amour ; il voudrait même, avec une naïveté presque enfantine, se consoler des mépris de celle qu’il aime par le succès qu’il croit avoir auprès d’autres : « Bien des jeunes filles, la nuit, m’invitent à jouer avec elles, et elles rient toutes aux éclats quand je les écoute. Cela prouve que, moi aussi, je suis quelqu’un dans le monde. » Le Polyphème de la VIe idylle va plus loin et ne se refuse pas la beauté : « L’autre jour, je me suis regardé dans la mer, — elle était calme, — et ma barbe apparaissait belle, à ce qu’il m’a semblé ; belle aussi, mon unique prunelle ; et la blancheur de mes dents brillait plus éclatante que le marbre de Paros. »

Si de ces idylles, surtout de la XIe, on passe à la XXe, on trouve que tout, idées et sentimens, s’est fort amoindri. La scène n’est plus au bord de la mer de Sicile entre un personnage mythologique et une nymphe, mais dans une ville entre un bouvier et une courtisane, qui, comme Polyphème et Galatée, se font contraste par la différence de leurs natures et de leurs habitudes. Le jeune homme a eu la fantaisie d’aller voir la courtisane Euneica et lui a demandé un baiser ; cet amant rustique a été repoussé par la citadine. Un pareil sujet a quelque chose de curieux et de suspect : dans les pièces de Théocrite non contestées, l’intérêt et le piquant sont ailleurs. La nature des imitations de détail éveille encore plus nos doutes. Revenu à la campagne, le bouvier, offensé « qu’une méchante courtisane se soit moquée d’un beau garçon comme lui, » prend à témoin les autres bergers du manque de goût de