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ce que je pensais ; c’est ce que j’avais toujours dit. Nous allons recommencer.

Ou bien, voici des représentations de ces visites intéressées que les frères mendians faisaient aux moribonds. Le frère, bas, trivial, papelard, s’approche : « Dieu soit ici ; Thomas, mon ami, bonjour. » Il se débarrasse de son bâton, de sa besace, de son chapeau ; il va s’asseoir, le chat était sur le banc, il le fait sauter à terre ; il s’installe ; la femme s’empresse, il la laisse faire et même l’encourage. Que pourrait-il bien manger ? Oh ! presque rien, un peu de poulet, une tête de cochon rôtie, le repas le plus léger ; il se « nourrit de la Bible, » il a « l’estomac perdu. » Il adresse au malade un long sermon intéressé, mêlé de mots latins, où le verbe « donner » revient à chaque vers : surtout ne donnez pas aux autres, donnez à mon couvent, ne donnez pas au couvent d’à côté : « avouez-le, vous voudriez avoir nos prières pour rien ; » payez donc, donnez donc, donnez-moi ceci, ou seulement cela ; Thomas donne moins encore.

Des scènes familières, d’une égale vérité, mais d’un style plus aimable, se trouvent dans d’autres récits, par exemple, dans l’histoire du coq Chanteclair, si bien localisée en quelques mots, dans un coin verdoyant de campagne, à l’écart : « Une pauvre veuve, un peu cassée par l’âge, vivait jadis dans une pauvre chaumière, à côté d’un bouquet d’arbres, dans un vallon. » Son étable, sa basse-cour sont décrites ; on entend les mugissemens des vaches et les chants du coq ; le ton se hausse peu à peu et on arrive au style héroï-comique. Chanteclair, le coq, « chantait d’une voix plus joyeuse que l’orgue le plus joyeux. » Il chantait les heures plus juste que « l’horloge de l’abbaye ; » sa crête était « rouge comme du corail et crénelée comme un mur de château. » Il avait un bec noir, des griffes blanches et des pieds bleus ; il régnait incomparable sur les poules de la basse-cour ; une des poules était sa favorite, les autres jouaient auprès de lui des rôles subalternes. Un jour, — « l’histoire est aussi vraie que celle de Lancelot du Lac, » — il cherchait un papillon, a boterflye, et que voit-il, sinon un renard ! Cok, cok, crie-t-il en sautant et veut s’enfuir. « Pourquoi partir, gentil seigneur ? » dit le bon renard ; « avez-vous peur de votre ami ?… Je ne suis venu que pour vous entendre chanter, » vous avez là un talent de famille. « Mylord, votre père, » chantait si bien ! Mais vous chantez encore mieux. Pour chanter encore mieux, le coq ferme l’œil, et le renard l’emporte. La fâcheuse aventure ! C’était un vendredi : « O Geoffroy, s’écrie Chaucer parodiant une prosopopée ridicule de Geoffroy de Vinesaub, maître incomparable, qui, lorsque le vaillant roi Richard lut percé d’une flèche,