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« Volontiers, reprit-elle, et commença ainsi. » La réponse n’est pas mieux en situation que la demande.

On revoit ainsi en action, dans ces petites scènes, les descriptions du prologue. Les portraits sortent de leur cadre et descendent dans la rue ; leurs membres sont tout aussitôt devenus souples et agiles ; le sang circule dans leurs veines, la vie déborde en eux ; à peine sur leurs pieds, les voilà qui font des culbutes ou des révérences, et qui, par leurs discours, charment, égaient, édifient, scandalisent. Leur personnalité est si accentuée qu’ils en sont encombrans ; leur tempérament les domine ; ils ne sont pas maîtres de leur langage ; le frère veut conter une histoire, mais la colère l’aveugle tellement qu’il ne sait où il va ; il bégaie, il s’étrangle, et son récit demeure informe ; le pardonneur a si bien pris le pli de son métier que son conte est comme un sermon et qu’il conclut comme à l’église : « Braves gens, Dieu vous pardonne vos fautes et vous garde du péché d’avarice ! Vous allez avoir le bienfait de mon pardon si seulement vous m’apportez des nobles ou des esterlins ou des cuillers d’argent, des broches, des anneaux ; courbez la tête sous cette bulle sacrée. Avancez, braves gens, faites votre offrande, et j’inscris votre nom sur ma liste, et vous irez tout droit au ciel… Et j’oubliais de vous le dire, j’ai des reliques et des pardons dans mon sac aussi précieux que ceux de pas un en Angleterre… Vous êtes là à cheval ; quelqu’un de vous peut tomber et se casser le cou. C’est un fameux bonheur pour vous tous de m’avoir dans votre troupe pour vous absoudre l’un ou l’autre, juste au moment où l’âme quitte le corps. C’est notre hôte qui commencera, car il est le plus embarbouillé de péché. Avance, sire hôte, fais ton offrande, tu embrasseras toutes les reliques, ouvre ta bourse ! » C’était bien s’adresser ! L’hôte fait une réponse qu’on ne saurait traduire.

Dans d’autres cas, le personnage est tellement verbeux et impétueux qu’on ne peut l’arrêter, ni le redresser, ni l’interrompre. Il ne saurait se décider à entrer dans son récit, il faut qu’il reste sur la scène et se raconte lui et les siens, il est à lui seul toute une comédie. On est bien obligé de se faire quand la bourgeoise de Bath prend la parole, irrésistible commère, joufflue, repue, gonflée, inépuisable en discours, intarissable en raisonnemens, pleine de joie. Elle parle de ce qu’elle sait, de sa spécialité. Sa spécialité est le mariage ; elle a eu cinq maris dont le dernier vit encore ; elle pense déjà au sixième parce qu’elle n’aime pas attendre et que les maris sont chose fragile ; avec elle ils ne durent guère ; pour elle, le sexe faible est le sexe masculin. Pour un mari qui rend l’esprit, elle ne va pas se mettre la mort dans