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de l’originalité de Théocrite. Il en avait pris en partie l’idée dans un mime de Sophron. En interprétant une ou deux indications données par des commentateurs anciens, on peut supposer que l’imitation se bornait à la première moitié du poème, à la scène d’incantation. Les diverses opérations, l’oiseau magique et la toupie d’airain, la farine, le laurier, le son, la cire, la frange de manteau, sacrifiés dans le feu, ces détails ou d’autres analogues étaient sans doute chez Sophron. La magicienne était aussi accompagnée d’une esclave ; mais celle-ci parlait et avait même un rôle d’une certaine importance, si l’on en juge d’après la critique inintelligente d’un auteur d’argument, qui reproche son infériorité à la Thestylis de Théocrite. Nous connaissons les bonnes raisons du poète pour faire de celle-ci un personnage muet. Tout dans sa conception est subordonné à la peinture de Simaetha et de son amour. De là les beaux développemens et les effets sur lesquels il a été suffisamment insisté, et qui, on peut l’affirmer, lui appartiennent. De là aussi l’art de la disposition qu’il adopte. La violence de la passion s’empare dès le début de notre imagination et presque de nos yeux, et cette forte impression ne nous quittera plus ; le récit des circonstances qui l’ont fait naître, si émouvant lui-même, ne vient qu’après, et tout suit, dans l’exposition des faits, les mouvemens de l’âme que nous voyons s’agiter et souffrir. Il y a une période d’un intérêt moindre ; ce sont les douze jours d’attente pendant lesquels l’amante délaissée soupçonne son malheur ; elle est indiquée rapidement par le poète, qui n’aurait pu y placer que des peintures plus faibles. Il aime mieux s’arrêter un instant, avant la belle conclusion qui termine son œuvre, sur le petit tableau de mœurs dans lequel il insère la révélation de l’infidélité, cause déterminante de la scène nocturne qu’il décrit. Sa composition y gagne en variété et en agrément. Rappelons enfin, puisque nous voulons dire ce que Théocrite a pu ajouter à l’ouvrage de son devancier, que son mime est un poème d’une poésie singulièrement expressive, élégante et forte, vraie de la vérité la plus familière et s’élevant sans effort à une noblesse suprême, dont l’art attentif et savant, s’astreignant à des formes déterminées comme les couplets réguliers et les vers intercalaires, laisse toute sa liberté et toute sa souplesse à l’expression des sentimens.

Pour arriver de l’idylle des Magiciennes aux mimes d’Hérondas, il faut descendre beaucoup. Le petit poème qui porte dans le recueil de Théocrite le numéro XX et qui est intitulé : le Jeune bouvier, pourrait, sinon par la date, du moins par ses caractères littéraires, servir de transition d’un poète à l’autre. Il n’est pas de Théocrite ; c’est l’opinion générale et elle paraît tout à fait