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Sainte-Marie-Nouvelle. Or-San-Michele était en construction ; la loge des lansquenets était à peine commencée ; le baptistère n’avait encore qu’une de ses fameuses portes de bronze ; la cathédrale disparaissait sous les échafaudages ; on travaillait à la grande nef et à l’abside ; le campanile de Giotto avait été achevé par son élève Gaddi ; le Ponte Vecchio, qui ne méritait pas plus ce nom que le Palais, venait d’être reconstruit par le même Gaddi, et, par la chaussée qui le continuait, à travers les bouquets de cyprès et d’oliviers, on montait à San-Miniato, tout resplendissant de ses marbres, de ses mosaïques et de ses peintures. Sur d’autres rangées de collines, parmi d’autres cyprès et d’autres oliviers, à côté de ruines romaines, se dressait l’église de Fiesole, et à mi-chemin de Florence, ondulaient au soleil les ombrages de cette villa où s’étaient retirés pendant la grande peste les seigneurs et les dames du Décaméron.

Le mouvement était général ; chaque ville rivalisait avec sa voisine, non-seulement sur les champs de bataille, qui étaient un lieu de rendez-vous des plus fréquens, mais dans le progrès artistique ; peintures, mosaïques, ciselures brillaient dans tous les palais et toutes les églises de toutes les cités ; l’activité était extrême ; Giotto, qui avait son atelier, sa « botega » à Florence, peignait aussi à Assise, Rome, Padoue. Sienne faisait couvrir les murs de son palais public de fresques, dont certaines figures ressemblent à des peintures de Pompéi. Une statue antique trouvée sur son territoire provoquait une admiration universelle ; elle était dressée sur la fontaine Gaïa par décret de la municipalité ; mais le moyen âge ne perdait pas ses droits, et, la république ayant eu des revers, la statue tomba en disgrâce, le dieu ne fut plus qu’une idole ; on brisa le marbre et on alla traîtreusement l’enterrer sur le territoire de Florence.

Le goût des collections commençait ; le commerce des antiquités était florissant dans l’Italie du Nord. Pétrarque achetait des médailles et comptait parmi ses trésors artistiques une madone de Giotto, « dont la beauté, dit-il dans son testament, échappait aux ignorans et ravissait les maîtres de l’art. » L’épanouissement qui se produisait était à la fois voulu et observé ; les villes jouissaient de leurs chefs-d’œuvre et, comme jeunes femmes, « se miraient en leur beauté. » Les contemporains ne laissaient pas à la postérité le soin de couronner les grands poètes du moment ; l’Italie, mère des arts, voulait que le laurier ceignît des fronts vivans et ne fût pas le simple ornement des tombeaux ; Rome avait couronné en 1341 celui qui, « nettoyant la fontaine de l’Hélicon du limon et des joncs marécageux, avait rendu à l’onde sa limpidité primitive, qui