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sir Guichard, devenu comte de Huntingdon, puis encore en Italie, où il se trouve avoir à traiter avec son compatriote Hawkwood, qui menait le plus agréablement du monde la vie de condottiere au profit de toute république le payant bien.

Ces voyages en Italie eurent sur l’esprit de Chaucer une influence considérable. Déjà sur cette terre privilégiée commençait la renaissance. L’Italie eut dans ce siècle trois de ses grands poètes : celui que Virgile avait conduit « chez la race damnée » était mort ; mais les deux autres vivaient encore, Pétrarque et Boccace, retirés au lieu où ils devaient s’éteindre, l’un, à Arqua, près de Padoue ; l’autre, dans le petit village fortifié de Certaldo, près de Florence. Dans les arts, c’est le siècle de Giotto, d’Orcagna, d’André de Pise. Chaucer vit, toutes fraîches encore de leurs vives couleurs, ces fresques que le temps a fanées ; ces vieilles choses alors étaient jeunes, et ce qui nous semble les premiers pas d’un art mal assuré paraissait aux contemporains le suprême effort des audacieux qui représentaient l’avenir et les temps nouveaux.

Le propre témoignage de Chaucer nous est garant qu’il vit, écouta et apprit le plus de choses possible ; qu’il s’avança le plus loin qu’il put, se laissant guider par « Aventure mère des nouvelles ; » il arrivait sans idée préconçue, curieux de connaître ce dont les esprits étaient occupés, aussi attentif que sur le seuil de sa Maison de Renommée, « car sachez bien que celui qui m’a fait venir m’a assuré que je pourrais voir et entendre ici des choses extraordinaires. » Il put ainsi constater de ses yeux cette activité admirable qui couvrait alors l’Italie de monumens où se mêlaient toutes sortes d’aspirations contradictoires et dont l’ensemble est pourtant harmonieux ; monumens dont le campanile de Giotto est le type, où l’on retrouve le moyen âge, tout en prévoyant la renaissance, dont les fenêtres sont ogivales et l’aspect général classique, où la préoccupation du réalisme et de la vie quotidienne s’associe à la vénération de l’art antique, où Apelle est représenté peignant un triptyque ogival. Pise avait déjà sa tour penchée, sa cathédrale, son baptistère dont on venait de changer l’ornementation extérieure, son Campo Santo dont les peintures n’étaient pas finies et n’étaient pas encore attribuées à Orcagna. Le long des murs du cimetière, Chaucer put voir cette première collection d’antiques dont s’inspiraient les artistes toscans, ce sarcophage avec l’histoire de Phèdre et Hippolyte que Nicolas de Pise prit pour modèle. Il put voir à Pistole la chaire sculptée par Guillaume de Pise, avec un magnifique torse de femme nue, imité de l’antique. À Florence, le Palais vieux, qui ne s’appelait pas encore ainsi, était achevé ; de même le Bargello, Sainte-Croix,