Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 116.djvu/820

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

médiocres servant de pacages, et de pacages également médiocres où poussaient des fragmens de bois, qu’une locomotive ne ressemble à une brouette.

Par l’immense quantité des défrichemens opérés, assainisse-mens, dessèchemens ou arrosages suivant les lieux, par les prairies artificielles, luzernes, trèfles variés, par la disparition du méteil et l’abondance inouïe du froment, par la découverte de la chimie agricole, les engrais, chaque jour mieux connus et plus répandus, fabriqués ou apportés des quatre parties du monde, par les races de bestiaux avantageusement modifiées, par la quantité des plantes, graines ou racines nouvelles cultivées dans nos champs : maïs, betterave, pomme de terre, colza, œillette, par les pommiers (si peu répandus au moyen âge), les mûriers et tant d’autres arbres, enfin par le nouvel outillage rural : charrues perfectionnées permettant de labourer avec un attelage de deux chevaux conduits par un enfant, batteuses fixes, ou à vapeur, machines à faucher, à faner, à lier, semoirs, pressoirs, moulins de tout calibre et de toutes destinations, par cette litanie d’inventions nouvelles que l’on pourrait réciter ici, comme l’hosanna du siècle qui s’écoule, l’exploitation du sol est transformée dans toutes ses branches, sous tous ses aspects… Il n’y a que la terre, les saisons, les phénomènes atmosphériques qui n’aient pas varié.

Certain candidat à la députation avait affiché, dans les villes, qu’il s’efforcerait de maintenir le pain au meilleur marché possible. Ses concurrens lui reprochèrent, dans les campagnes, de vouloir ruiner les laboureurs, et il expliqua aussitôt par une déclaration nouvelle que, tout en augmentant le bon marché du pain, il s’appliquerait à faire renchérir le blé. Alors les électeurs, urbains et ruraux, jugeant que cet homme se moquait d’eux, l’abandonnèrent, et il échoua pitoyablement. S’il n’est guère possible que l’on vende en effet le grain cher et le pain à bas prix, rien ne s’oppose à ce que la terre renchérisse, tandis que ses produits baissent ; il suffit pour cela qu’ils deviennent plus abondans. C’est ce que l’on a vu maintes fois dans le passé ; qui donc oserait prédire que nos successeurs, dans un avenir prochain, ne le verront pas à leur tour ?


Vte G. D’AVENEL.