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Les municipalités édictent sans cesse des peines contre ceux qui mettaient de la paille dans les rues « pour la transformer en fumier ; » elles défendent de « faire pourrir en ville du buis pour engrais, à cause de l’infection » qui en résulte. Une ordonnance de police de 1736 défend aux habitans des villages riverains de Paris d’enlever, pour s’en servir à fumer leurs terres, les matières des voiries, « avant que ladite matière n’y ait séjourné trois ans. » Il existe bien, de loin en loin, des lettres-patentes portant permission à un particulier « d’engraisser les terres pendant trente ans avec une invention dont il est l’auteur, à l’exclusion de qui que ce soit (1630) ; » la correspondance des intendans mentionne, sous Louis XV, des « secrets trouvés par certaines personnes pour augmenter la fertilité des terres. » Mais la délivrance de ces brevets, n’ayant jamais abouti à rien, nous laisse des doutes sur l’efficacité des découvertes.

Aucune nation de l’Europe n’était, d’ailleurs, plus avancée que nous ; notre agriculture pouvait même, à plus d’un point de vue, faire envie à nos voisins. N’oublions pas qu’au XVIIe siècle le blé était en France un des principaux articles d’exportation. Les populations du Midi avaient fait d’importans travaux d’irrigation, et le prix considérable auquel atteignent certains fonds arrosés de Languedoc et de Provence prouve le succès de ces tentatives. Il est, dans les régions les plus arriérées, de curieux spécimens de canalisation, dus à l’initiative particulière : les habitans du Briançonnais avaient percé, en 1526, à la pointe du ciseau, dans les massifs rocheux des Alpes, un canal de 800 mètres de long, uniquement alimenté par la fonte des neiges.

Le côté le plus défectueux, c’était le matériel agricole : ce que nous appelons « charrue » ne ressemble en rien à ce qui était appelé charrue par nos pères ; l’idée est la même, mais ce n’est plus le même instrument. Les labours étaient encore donnés au XVIIIe siècle, dans le Midi, au moyen de charrues en bois, fort inférieures à celles que les charrues en 1er ont détrônées de nos jours. Ailleurs, c’était l’antique araire de Virgile, portant soit une bêche horizontale, soit un fer de lance, soit un soc pointu et flanqué de deux oreilles en forme de coin qui repoussaient la terre sur les côtés. Avec l’araire, on sillonnait, on ne labourait réellement pas. En 1800, la véritable charrue n’était en usage que dans quelques districts.

Par la diversité des prix on juge de la variété des instrumens auxquels on appliquait le même nom : une charrue valait, au XIVe siècle, de 2 fr. 60 à 27 francs ; aux XVe et XVIe siècles, les chiffres vont de 3 francs à 46 francs ; mais ce dernier concerne une