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chaque localité, une arche sainte à laquelle on n’ose toucher. Le laboureur est justiciable des tribunaux pour avoir cultivé à contre-temps, contrairement aux usages, une pièce de terre à lui confiée. Aux temps modernes, des ordonnances d’intendans défendent de labourer les prairies, de planter des vignes, de faire même couper ou manger l’herbe, « serrer les avoines » ou les blés, avant les saisons ordinaires. Est-il survenu quelque trouble dans le régime foncier, les règles se sont-elles relâchées ou corrompues, les cultivateurs sont les premiers à se plaindre que, « le finage ne se labourant plus par saisons, ils s’exposent à être condamnés à des amendes. »

Ces pratiques, auxquelles on paraît attacher tant d’importance, sont les plus primitives du monde ; c’est, en général, la culture biennale du blé, alternant avec les jachères, système renouvelé des Grecs et recommandé par Xénophon. Il était formellement défendu, en Provence, de restoubler, c’est-à-dire d’ensemencer deux ans de suite le même champ. Seuls les bons fonds sont admis, à la fin de l’ancien régime, à l’assolement triennal : deux ans de céréales (froment ou avoine), un an de repos. Le repos dure bien davantage dans les fonds médiocres ou mauvais ; dans ce Morvan, qui occupe les deux tiers de l’élection de Vézelay, décrite par Vauban, les terres ne se labourent qu’un an sur six ou sept. Pendant le repos, il y pousse des fougères et genêts que les bestiaux vont pâturer et que l’on brûle avant le retour de la charrue. Sans doute, la croûte arable de ces champs inféconds est aussi mince que celle d’une cour pavée qui, laissée à elle-même durant de longues années, finit par se recouvrir d’une certaine couche d’humus, provenant de sa propre végétation. De ces sols artificiels il faut plusieurs hectares pour nourrir un homme. Un rare effort les épuise ; et, à défaut de grains, on n’a pas trouvé moyen de leur faire produire autre chose. Des milliers de kilomètres étaient encore dans ce cas au XVIIe siècle ; et, jusqu’au milieu du XVIIIe, on voit, en Limousin, les « chaumes, » qu’on laisse reposer pendant dix ans, quinze ans ; pauvres terres anémiques, fourbues par une gestation qu’elles ne peuvent renouveler que sept ou huit fois par siècle. Au-dessous des « chaumes, » plus bas encore dans la hiérarchie de la fertilité, sont les « bruyères, » qui, elles, se reposent toujours et ne figurent que pour mémoire.

Ce ne fut que dans la seconde moitié du règne de Louis XV que la jachère recula, que la sole du repos fut renvoyée à la troisième, puis à la quatrième année, qu’elle fut utilisée enfin par les prairies artificielles et devint autant ou plus profitable à l’agriculteur que les périodes de labour. « On a maintenant, dit-on en 1768, à