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faisaient du blé jusque sous les murs du château. Au même temps, le seigneur de Rostaing, pour créer un parc de 30 hectares autour de son manoir de Thieux, doit acheter, l’une après l’autre, 200 parcelles de terre.

Et ce que font de riches propriétaires, par goût autant ou plus que par intérêt, une masse de rentiers le font dans une vue de placement, et beaucoup d’agriculteurs l’exécutent comme spéculation. Ils espèrent augmenter par là leur revenu. Ce ne fut pas seulement en France que ces courans successifs de découpage des domaines en mille fractions, puis de coagulation des parcelles éparpillées, peuvent être constatés : l’histoire de l’agriculture en Angleterre fait passer sous nos yeux des édits royaux, qui défendent la concentration de la terre et d’autres édits qui défendent le morcellement ; preuve que l’une et l’autre tendance dominèrent, chacune à son heure, sous l’influence de causes économiques. Le morcellement exagéré du moyen âge constituait une entrave au développement de la richesse agricole, après avoir été utile à l’opération préliminaire du défrichement.

L’absorption des plaines par la grande culture qui balayait des centaines de chaumières et effaçait des douzaines de hameaux, la création des grandes fermes de Beauce et de Brie, qui toutes datent du XVIIe siècle, fut alors une révolution équivalente à celle de la grande industrie et du grand commerce de nos jours, qui condensent et par suite remplacent, au plus grand profit du public, tant d’ateliers isolés ou d’échoppes minables. Ces échoppes pourtant, et ces ateliers, avaient réalisé, en leur temps, une amélioration sur l’état de choses antérieur ; l’humanité leur devait la division du travail. Il arrive que l’avènement d’un système, comme plus tard son abandon, sont également utiles ; que le morcellement a été un progrès, et que la concentration a été un autre progrès. D’ailleurs, ces détaillans agricoles ne disparurent pas plus complètement que ne disparaîtront dans l’avenir les exploitans parcellaires du commerce et de l’industrie. Le morcellement demeura avantageux à certaines configurations de terrain, à certaines cultures délicates.

Dans les pays mêmes où le sol fut moins divisé aux deux derniers siècles qu’il n’était auparavant, on ne peut pas ouvrir un chartrier, un inventaire d’archives quelconques, sans y rencontrer des myriades de ventes et d’achats de terre faits à ou par des laboureurs. En Flandre, certains propriétaires possèdent des quantités de coupons, de petits bouts de terre, des quarante et cinquante lopins ; dans l’Ile-de-France, sous Louis XIV, les transactions foncières abondent entre mariniers, tisserands, charcutiers, petits