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Larisse : Mon cher Lycos… » C’est le commencement d’une chanson thessalienne qu’il entonnait, la méchante bête. Aussitôt Cynisca fond en larmes, plus abondamment qu’une fillette de six ans qui s’en est allée pleurer dans le sein de sa mère. Alors moi, — tu me connais, Thyonichos, — je lui applique le poing sur la joue, et je redouble. Relevant sa robe, elle s’enfuit au plus vite. « Ah ! fléau de ma vie, je ne te plais pas ? Un autre t’est plus doux au cœur ? Va caresser un autre ami. Voilà donc pourquoi tes joues sont inondées de larmes ! » L’hirondelle, après avoir donné la becquée à ses petits nichés sous le toit, s’envole vite pour leur chercher d’autre pâture : plus vive, Cynisca s’élance de son siège moelleux tout droit à travers le vestibule et la grande porte, et s’en va où remmènent ses pieds.


Théocrite, sans doute, connaissait fort bien les pièces de la comédie nouvelle. Il avait lu les jolies scènes de mœurs et les naïfs récits d’amoureux, dont les imitations de Térence nous donnent une idée. Sans vouloir faire de Théocrite aussi un imitateur de Ménandre ou de Diphile, on peut supposer que dans ce riche répertoire que nous avons perdu, il se rencontrait quelque scène ayant de l’analogie avec l’idylle de Cynisca. La comparaison, si elle était possible, serait instructive à la fois sur l’art des comiques et sur celui du poète de l’idylle. Il y aurait des nuances délicates à étudier dans les effets différens produits par l’emploi de l’ïambe, l’instrument plus agile de la comédie, et par celui du mètre dactylique que Théocrite plie à l’expression de ses vives saillies. On peut affirmer que, dans aucun récit d’un comique, ne se rencontreraient des vers comme ceux où la fuite rapide de la jeune fille est comparée au vol de l’hirondelle, empressée à nourrir sa nichée. Ceci est d’une inspiration homérique et rentre dans le ton pastoral. Mais c’est assez s’arrêter sur une pure hypothèse.

Je dirai tout à l’heure quelques mots du troisième des petits mimes, celui qui a pour titre le Jeune bouvier. J’arrive tout de suite au grand mime des Magiciennes, le plus beau de tous, celui où l’art de Théocrite est le plus puissant. On sait quelle admiration elle inspirait à Racine, et, si elle lut moins goûtée des faiseurs d’idylles du XVIIe et du XVIIIe siècle, il n’y a qu’une voix aujourd’hui sur le mérite d’une pareille œuvre. C’est cependant un simple mime, qui ne met en scène, suivant l’usage, que des personnages d’une condition commune. Simaetha, la femme qui accomplit des cérémonies magiques, n’est pas une courtisane ; elle dit de son amant : « Il a fait de moi, misérable, au lieu d’une femme, une fille avilie et déshonorée. » Mais la médiocrité de sa situation se montre dans plus d’un détail. Elle vit dans son modeste logis seule avec une esclave ; elle va voir une fête en compagnie d’une nourrice,