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toutes les opinions, tous les partis se pressaient sans distinction, et au Mans comme à Patay, les zouaves de Charrette se confondaient avec les soldats de Chanzy, autour des couleurs de la France nouvelle. On versait son sang en commun : c’était la guerre ! Le jour où il ne restait plus d’espérance, au lendemain de cette paix, de cette cruelle paix que M. de Falloux prévoyait comme M. Thiers lui-même, d’autres pensées se réveillaient naturellement. Jusque-là la république du 4 septembre n’était qu’un fait décoré de ce beau nom de « défense nationale ; » elle n’avait pas réussi à vaincre la mauvaise fortune, elle avait plutôt aggravé les désastres. Maintenant la question de gouvernement, de régime définitif, devait nécessairement se raviver, d’autant plus que l’assemblée qui sortait du sein ensanglanté de la France était certainement l’assemblée la moins républicaine, la plus conservatrice qui ait jamais existé. La France semblait avoir choisi de préférence dans les vieux partis royalistes ceux qu’elle chargeait de la sauver de l’invasion et de l’anarchie. Et c’est ainsi que de ces amas d’événemens renaissait la chance si souvent ajournée, longtemps désespérée d’une restauration monarchique, d’un nouveau 1814 ! Mais ce n’était encore qu’une chance dans ces jours de transition troublée qui commençaient à Bordeaux pour s’achever à Versailles. Avant tout il y avait à relever la France blessée, à la réorganiser, à la dégager de l’étreinte de l’ennemi extérieur aussi bien que de la barbarie intérieure, maîtresse de Paris, — et c’était là l’œuvre de M. Thiers, qui s’appelait lui-même « l’administrateur de l’infortune publique ! » Autre condition aussi difficile à réaliser : il fallait arriver à faire des anciennes monarchies divisées une seule monarchie, des vieux partis royalistes une force unique, — et ici tout dépendait de cette réconciliation dynastique, de cette « fusion » à laquelle on avait tant travaillé, qui semblait désormais inévitable et ne restait pas moins toujours un problème.

C’est l’histoire de ce lendemain de 1870, de ces deux ou trois années pendant lesquelles ce nouveau drame des partis, succédant aux tragédies de la guerre, se déroule, se resserre ou se complique. M. de Falloux, qui n’avait pas-voulu, quant à lui, être de l’assemblée, ne restait point étranger à ce drame. Il n’était pas sur la scène ; il n’en était jamais bien loin et avait l’art de se trouver toujours à Versailles aux momens décisifs. Il suivait l’action avec toute l’ardeur de sa pensée et de ses désirs, parlant ou écrivant, portant sans crainte ses exhortations à M. Thiers, avec qui il n’avait cessé d’être lié, conseillant ou inspirant ses amis de l’assemblée. Il était naturellement avec ceux qui ne voyaient de dénoûment que dans la monarchie, avec la maison royale réconciliée ; il s’associait