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considérait comme la dernière ressource de la France, près de sombrer dans l’anarchie ou dans un régime dictatorial. Il mettait une vive sincérité et même peut-être un peu de naïveté à croire ce qu’il désirait. Il n’avait pas caché sa pensée, qui était du reste la pensée de ses amis, de Berryer lui-même, à M. le comte de Chambord. Il ne cessait d’en parler à M. Thiers, au général Changarnier, à tous ceux qu’il supposait avoir quelque influence sur les princes, sur Mme la duchesse d’Orléans aussi bien que sur l’exilé de Frohsdort. Il était dès lors, pour sa part, prêt à accepter tout ce qui pouvait rallier les royalistes de 1830, les garanties les plus libérales dans les institutions, même le drapeau des générations nouvelles. Il avait cru déjà la « fusion » possible sous la république. L’empire lui-même ne le décourageait pas. Il y voyait tout au plus un ajournement de ses espérances, mais un ajournement qui avait l’avantage de laisser aux incompatibilités intimes, aux résistances, aux susceptibilités de dynasties et de partis, le temps de s’apaiser.

Veut-on voir une sorte de mise en scène intime de cette idée de « fusion, » rêve d’un avenir plus ou moins lointain ? Un jour, en plein empire, dans cette vieille et agreste résidence d’Augerville, où Berryer se plaisait à aller chercher le repos, se trouvaient réunis quelques-uns des vaincus du temps : M. de Salvandy, Montalembert, M. de Falloux, M. Thiers, M. Mignet, M. Vitet et, avec eux, l’évêque d’Orléans, Mgr Dupanloup. C’est ce que les loustics de l’empire appelaient « l’intrigue d’Augerville. » Il n’y avait aucune intrigue à Augerville ; il n’y avait, entre ces éminens esprits, que de brillantes et fortes conversations sur toute chose.

Un instant, pendant ce séjour, M. Thiers s’était arrêté devant un portrait de Charles X, œuvre du peintre Gérard : « Voici, disait-il, une figure qui respire la loyauté et la bonté. Voyons, Berryer, expliquez-nous quelle fut la vraie pensée du roi au moment de signer les ordonnances. Voulait-il, sciemment, sortir de la Charte ? » — À quoi Berryer répliquait : « Je vous répondrai en toute franchise si vous voulez me dire ce que pensait M. le duc d’Orléans et ce que vous pensiez vous-même en faisant la révolution de juillet. » Et aussitôt la conversation s’engageait, libre, familière, éloquente. M. Thiers racontait avec bonhomie que les événemens avaient dépassé tous les calculs, que le duc d’Orléans n’avait jamais eu d’autre pensée que d’éviter un nouvel exil, sans se mêler à aucun complot contre le roi et qu’il avait fallu positivement le traîner au trône, — que lui, fils de la révolution, n’aurait pas voulu la compromettre, « qu’on s’était enhardi à mesure que la défense faiblissait, » enfin,