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d’accommodement, de transaction et d’affaires, avec beaucoup plus d’ambition qu’il ne suppose en avoir. » C’était le commencement d’une guerre qui n’a plus cessé depuis entre le ministre de 1849 et l’implacable chef de la démocratie catholique.

Ce qu’il y a de singulier, c’est que la loi qui a gardé le nom de « loi Falloux » n’était réellement, votée que le 15 mars 1850 ; mais alors, M. de Falloux n’était plus ministre. Il se survivait par ses œuvres, si l’on veut, — il avait quitté la scène depuis quelques mois. Il avait un prétexte toujours facile à trouver dans sa santé, que près d’une année de pouvoir, de travaux et d’agitations avait épuisée. De plus, il ne se sentait pas toujours à l’aise avec des collègues qui se défiaient de ses opinions, de son esprit et de son influence, dont il prétendait être le « prisonnier. » Il n’avait pas tardé enfin à voir poindre une situation où le président tendait de plus en plus à s’émanciper, à « faire sentir, comme il allait bientôt le dire, la main de l’élu du 10 décembre. » Il s’était prêté à cette expérience d’une république conservatrice avec un Napoléon, il ne s’était pas donné, et il avait hâte de se dégager, de retrouver sa liberté. Il n’avait jamais déguisé ses sentimens au prince dont il avait accepté d’être le ministre. Plus d’une fois, dans les conversations intimes, familières, qu’il avait eues avec Louis-Napoléon, il lui avait dit : « Nous sommes en route vers la monarchie, et durant le chemin vous me trouverez conservateur fidèle et résolu. Arrivé au but, je me séparerai non moins résolument de tout gouvernement qui ne sera pas la monarchie. » On n’en était pas encore là ; on y marchait, et par le lait, en se retirant au mois de septembre 1849, M. de Falloux n’avait devancé que de quelques semaines le congé sommaire que le président allait donner au ministère tout entier, en l’accompagnant du message du 31 octobre, premier manifeste de ses volontés et de ses ambitions.

IV

Situation étrange, pleine de contradictions, qui s’était déjà dévoilée dans la première assemblée de 1848 et qui s’accentuait plus vivement encore dans la seconde assemblée née d’un mouvement passionné de réaction. En apparence, la république existait, elle semblait acceptée, elle restait la légalité visible et reconnue ; en réalité, on n’y croyait plus depuis le 10 décembre. Il y avait un prétendant impérial à l’Elysée, une majorité monarchiste dans le parlement, des légitimistes, des orléanistes dans les conseils. C’était à qui disposerait déjà du lendemain, à qui se disputerait l’héritage et les dépouilles d’un régime, dont on se plaisait à