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le ministère. Il ne tardait pas en même temps à gagner l’amitié, presque la confiance du président, autant qu’on pouvait gagner cette confiance, et rien ne serait peut-être plus curieux que l’histoire de ses rapports avec Louis-Napoléon. Il ne se méprenait pas sur les arrière-pensées, sur les desseins ambitieux du prince, qui, de son côté, n’ignorait pas dans quelle mesure et dans quelles conditions M. de Falloux avait accepté le pouvoir. À part cette réserve, les rapports devenaient rapidement affectueux. Le ministre évitait de froisser le prince et lui savait gré de se prêter sans effort, sans affectation, au bien qu’on lui proposait. Le prince avait du goût pour son jeune ministre, pour sa parfaite mesure et ses manières d’homme bien né. Il le traitait en plénipotentiaire d’un monde qu’il connaissait peu. Il y avait parfois des scènes piquantes : témoin le jour où M. de Falloux avait songé au duc de Luynes pour je ne sais quel poste. « Le duc de Luynes, répondait le président, en paraissant chercher dans sa mémoire, mais ce n’est pas un duc de l’empire. — Non, monsieur le président, c’est le descendant d’un connétable de l’ancienne monarchie. — Oh ! alors, c’est un légitimiste. — Oui, monsieur le président. — Cela lui fait honneur. » Louis-Napoléon ne laissait échapper aucune occasion de se montrer agréable, de flatter ce qu’il croyait être le sentiment secret de son ministre. « Monsieur de Falloux, lui disait-il de temps à autre, avant ou après le conseil, j’ai reçu des nouvelles qui vous feront plaisir. Ma cousine Hamilton a eu ce matin des lettres de la duchesse de Parme : M. le comte de Chambord se porte très bien. » Je ne sais trop, à dire vrai, s’il n’y avait pas quelque malice dans ce zèle de bonne grâce à donner des nouvelles de M. le comte de Chambord à un ministre de la république. L’ironie était peut-être dans la situation des deux interlocuteurs !

Au fond, à travers les manèges et les contusions de cette tragique année, M. de Falloux n’avait porté au pouvoir qu’une préoccupation sérieuse, dominant ou résumant toutes les autres. Il représentait surtout, disais-je, les intérêts religieux, et c’est sous la pression de ces intérêts qu’il marquait son passage au ministère par une participation décisive, évidemment prépondérante, à deux des plus grandes affaires du temps : l’intervention à Rome et la préparation de la loi sur la liberté de l’enseignement.

À voir simplement les choses, le jour, — 15 novembre 1848, — où le pape Pie IX, naguère encore si populaire, maintenant consterné par le meurtre de l’infortuné Rossi, effrayé d’une anarchie grandissante, s’était vu réduit à quitter clandestinement le Quirinal, laissant Rome à la révolution, ce jour-là, la question était née pour la France comme pour la catholicité tout entière. Le général Cavaignac lui-même, à la veille de l’élection présidentielle, l’avait bien senti ;