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on ne pouvait plus reculer de réformes bienfaisantes, humaines, qui, avec les années, ont passé dans les lois, que la commission elle-même, sur le moment, trouvait superflues ou prématurées : — « Laissez-moi respirer, lui disait M. Goudchaux en entendant son rapport, vrai programme de réformes sociales, laissez-moi respirer, je suis noyé sous ce flot d’innovations. » — Voilà cependant ce qui arrive ! Les partis, par une de ces iniquités ou une de ces tactiques dont ils se font un jeu, ont voulu depuis laisser peser sur M. de Falloux seul la responsabilité de la guerre civile qui se préparait et du sang versé. Le fait est que la dispersion des ateliers nationaux était une nécessité universellement reconnue, que M. de Falloux ne faisait que dire tout haut, courageusement, ce que tout le monde pensait et qu’il mettait dans son langage des ménagemens infinis : — « Nous ne voulons pas fermer une porte aux abus sans ouvrir deux portes au travail. » — Mais le plus curieux est que cette dissolution des ateliers nationaux, représentée comme une provocation, n’avait pas été encore prononcée par l’assemblée, qu’elle n’était décrétée qu’après le combat, par l’autorité dictatoriale du général Cavaignac, élevé en pleine crise au pouvoir exécutif. Au moment où M. de Falloux proposait à l’assemblée, non pas une dissolution immédiate et brutale, mais une dissolution graduée, mitigée, tempérée par les ménagemens les plus humains, la sédition remplissait Paris : elle n’avait pas tant attendu ! Et quatre jours durant, allait se dérouler, à travers toutes les péripéties, ce drame lugubre, cette guerre des passions serviles, obstinée et meurtrière, habilement organisée, où la mort planait sur la ville, où l’archevêque de Paris offrait son sang en sacrifice et où périssaient plus de généraux que dans les plus grandes batailles du siècle. C’était la société française tout entière réduite à se défendre du plus formidable assaut, conduite au combat par le général Cavaignac avec ses vaillans compagnons, les Lamoricière, les Bedeau, les Duvivier, les Négrier. La victoire matérielle, chèrement achetée, couronnait ce sanglant effort que M. de Falloux avait suivi dans toutes ses péripéties, souvent présent au feu ; les suites morales semblaient moins assurées et l’avenir restait chargé de nuages.

Ce que la journée du 15 mai avait commencé, en effet, les journées de juin l’achevaient : elles laissaient la république compromise jusque dans sa victoire ; elles réveillaient les doutes sur le régime, les défiances et les contradictions. On ne réfléchissait pas qu’aucun gouvernement, si ce n’est un gouvernement anonyme[1], n’aurait pu livrer une telle bataille, on ne voyait que les

  1. Telle était l’opinion du roi Louis-Philippe lui-même. Lorsqu’on parlait devant lui de la terrible victoire de juin et de la faiblesse de la défense au 24 février, il prétendait qu’il n’y avait qu’un gouvernement anonyme qui pût se permettre de telles répressions.