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Falloux, quant à lui, se jetait dans la fournaise, au « comité du travail, » où allaient s’agiter les questions les plus brûlantes, où il prenait rapidement l’autorité d’un esprit ferme et résolu. Le lien de tout ce monde un peu incohérent était le sentiment de la conservation, le besoin de rentrer dans l’ordre, de régulariser la république, de faire face d’un commun effort aux orages.

Chose curieuse ! lorsque la première crise, le premier péril éclatait pour la république par l’invasion de l’assemblée au 15 mai, lorsque, la plus chaude alerte passée au palais Bourbon, Lamartine et Ledru-Rollin se décidaient à marcher sur l’Hôtel de Ville, où se formait déjà un gouvernement révolutionnaire, par qui étaient-ils escortés ? Ils marchaient entre M. de Falloux, légitimiste d’origine, et M. de Mornay, le dernier défenseur de la duchesse d’Orléans au 24 février, qui, l’un et l’autre, hommes des monarchies, prenaient la tête du cortège pour aller arracher la république aux factions. — « C’était bien, a dit M. de Falloux, le symbole de la situation : la république attaquée par les républicains et défendue par les monarchistes ! » — Cette tentative n’était qu’une première épreuve. La sédition avait essayé ses forces, elle ne se tenait pas pour vaincue. Elle avait, aux ateliers nationaux, une armée de 100,000 ouvriers soldés par l’état, démoralisés par le désœuvrement et embrigadés pour la révolte, — ceux que Victor Hugo appelait dans son langage imagé « des lazzaroni en temps de paix et des janissaires pour le combat… des prétoriens de l’émeute au service d’une dictature. » Dissoudre cette année de la sédition, ramener au travail régulier une multitude livrée Hans une oisiveté corruptrice à toutes les captations, c’était la première obligation si l’on voulait éviter les suprêmes extrémités, raviver la confiance par la sécurité. Le faible gouvernement, que l’assemblée avait nommé sous le nom de « commission exécutive, » le sentait lui-même. Les républicains du comité du travail le sentaient plus vivement encore : — « Il faut que les ateliers nationaux disparaissent ! » — disait M. Goudchaux. On hésitait pourtant à affronter le danger ; on tournait amour de la question, — et qui, en définitive, choisissait-on pour préciser le problème, pour prononcer le mot décisif ? — « Au milieu de tant de volontés indécises ou timorées, a écrit un historien de ces jours de crise, un homme surgit, doué d’activité, de courage et surtout de cette énergie mêlée de prudence et de hardiesse qui est le propre de l’homme d’État : c’était un jeune représentant de Maine et-Loire… »

Est-ce à dire que M. de Falloux, mandataire d’une commission de l’assemblée, mît dans l’œuvre qu’il restait chargé de préparer une dureté provocatrice, un esprit de réaction impitoyable ? Il entendait, au contraire, accompagner une mesure devant laquelle