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sa majorité. Après les élections du congrès, ce sont les élections du sénat qui viennent de se faire, et les unes et les autres ont été telles qu’on les désirait. Elles avaient été savamment préparées et elles ont naturellement répondu aux vues du gouvernement. Dans le congrès, le ministère de M. Sagasta peut compter sur une majorité de près de trois cents membres contre une minorité de quatre-vingts conservateurs, d’une trentaine de républicains et de quelques carlistes. Dans le sénat, composé d’élémens assez divers, sénateurs élus ou sénateurs à vie, évêques, représentans de la grandesse dans le sénat, le ministère a une majorité moins forte, mais suffisante encore : il a près de 180 voix contre 135. Aujourd’hui, tout cela est fait, et d’ici à peu de jours le nouveau parlement espagnol, le parlement Sagasta, va se réunir. Est-ce à dire que tout va marcher simplement, que les difficultés sont finies ? C’est maintenant, au contraire, qu’elles vont se succéder. Il en est des ministères libéraux comme des ministères conservateurs en Espagne. À peine sont-ils nés qu’ils commencent à se modifier, et leur vie n’est qu’une série de transformations. La série a déjà commencé pour le cabinet Sagasta, par la démission du ministre de la marine, l’amiral Cervera, qui a refusé de souscrire à des économies qu’on voulait lui imposer et qui a été remplacé par l’amiral Pasquin. Ce n’est pas tout. Dès le premier moment, le ministre de la justice, M. Montero-Rios, le ministre d’État, le marquis de la Vega y Armijo, n’ont pas caché qu’ils n’entraient que provisoirement dans le cabinet, qu’ils aspiraient à d’autres positions dans l’État, et leur démission n’est sans doute qu’une affaire de temps ; de sorte qu’on pourrait dire qu’il y a à Madrid une crise ininterrompue.

Si ce n’était encore cela, mais le ministère va avoir à vaincre de bien autres difficultés avec les réformes qu’il se propose de réaliser : réformes financières de M. Gamazo, réformes militaires du général Lopez Dominguez. Déjà, par une réorganisation militaire qui détruit ou déplace les vieilles capitaineries générales, le ministre de la guerre a soulevé les plus ardentes oppositions dans les villes dépossédées comme Burgos et Séville. La question est d’autant plus grave que l’organisation nouvelle implique nécessairement d’assez grosses dépenses pour les établissemens militaires dans les nouvelles capitales. Cette seule réforme suffit pour créer bien des difficultés. Tout fait donc présager pour le cabinet libéral une vie laborieuse, et ce n’est pas sans peine que M. Sagasta réussira à s’assurer une certaine durée dans cette carrière où l’Espagne a déjà vu passer tant de ministres et tant de pouvoirs.


CH. DE MAZADE.