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ces petites scènes qui préludèrent de loin en Grèce, surtout chez les populations doriennes, à la comédie : ainsi, un charlatan débitant ses drogues sur la place du marché, avec un accent et dans un langage exotique. La comédie, principalement sous l’inspiration de Bacchus, prit librement son vol dans les hardiesses de la satire et de la fantaisie : au-dessous d’elle, dans une région plus calme et plus humble, subsista, semble-t-il, cette sorte de divertissement populaire, où la foule aimait à retrouver la fidèle image de sa vie et de ses mœurs. Il vint un moment, seulement vers le milieu du Ve siècle, où il prit à Syracuse une forme littéraire ; ce fut l’œuvre de Sophron, dont les mimes, malheureusement perdus comme ceux de son fils Xénarque, se recommandent à notre estime par le suffrage d’un juge tel que Platon. Ils étaient écrits en prose, mais en une sorte de prose rythmée qui complétait l’expression par un effet musical et relevait la simplicité du genre par une recherche d’art. On les avait divisés en deux groupes, les mimes d’hommes et les mimes de femmes. Quelques titres, qui nous sont parvenus, comme les Pêcheurs, les Femmes qui attirent la lune, les Femmes aux fêtes de l’isthme, paraissent indiquer des sujets ayant une certaine analogie avec des compositions de Théocrite. On ne peut douter que les mimes de Sophron n’aient été au moins le point de départ de celui-ci.

L’art de Sophron avait ses délicatesses, et il est probable, comme le pense M. Maurice Croiset, qu’il écrivait pour la bonne société de Syracuse plutôt que pour la foule. Comment l’Alexandrin Théocrite, qui, près de deux siècles plus tard, écrivait pour un public raffiné, n’aurait-il pas poussé beaucoup plus loin le mérite des combinaisons ingénieuses et des recherches élégantes ? Et en effet, son œuvre, sous l’apparente simplicité de modestes compositions, est une réunion très complexe de formes et d’élémens divers. D’abord la grande innovation par rapport à Sophron, c’est que Théocrite est un poète ; et sa poésie ne se définit pas d’un mot. Souvent, et c’est ce qui a le plus frappé les modernes, elle est pleine du sentiment de la nature, dont elle donne soit les grands aspects, fortement saisis, soit les gracieux paysages, indiqués d’un trait léger et sûr, soit les détails champêtres, rendus avec une minutieuse précision. Ensuite ces pièces ont leur élégance à part, piquante et, pour ainsi dire, savoureuse. La vulgarité dans toute sa franchise, la crudité même y sont revêtues d’une harmonie savante ; on y admire une souplesse qui se prête aux tons les plus divers, quelquefois dans une même idylle et presque au même instant. Il paraît qu’il y avait des mimes sérieux de Sophron, ou au moins dans ses mimes des idées sérieuses ; Théocrite n’a pas cette gravité, mais il a la passion à un degré que son devancier