Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 116.djvu/718

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qui avaient été libérés de toute poursuite et ceux qui avaient été retenus en prévention. Jusque-là, c’est l’œuvre libre et indépendante des juges ! Là où la justice a passé et a prononcé, il n’y a plus rien à dire ; mais en dehors ou à côté de l’œuvre de la justice, il y a des faits sur lesquels ni la cour d’assises, ni la cour d’appel n’avaient à se prononcer, qui sont ce qu’on pourrait appeler la partie toute politique de ces malheureuses affaires. C’est cette partie qui reste sous la juridiction du parlement, de l’opinion, du pays tout entier, juge souverain de ses ministres et de ses représentans.

Ainsi, de quelques euphémismes que les intéressés eux-mêmes aient cru devoir se servir dans leurs témoignages, il reste avéré qu’il y a eu d’étranges mœurs, d’étranges procédés, dans nos affaires politiques depuis dix ans. Il est avéré qu’à des momens plus ou moins critiques, des hommes publics, des ministres, des chefs de partis ont cru pouvoir peser sur l’administration de Panama pour conjurer le scandale d’un procès dont ils redoutaient les effets. Ils n’exigeaient rien, oh ! non sûrement ; ils se bornaient à invoquer « l’intérêt supérieur de la république, » à engager l’administrateur à s’exécuter, — et l’administrateur se hâtait de verser quelques millions pour désarmer un loup-cervier qui, par des dépêches connues du gouvernement, menaçait de « tout briser, » de faire un éclat compromettant. Il reste acquis et constaté en dépit des réticences tardives, que M. Floquet, ministre de l’intérieur, étendait sa paternelle surveillance sur les fonds d’une grande compagnie qui allaient vers des journaux dévoués à ses intérêts et à sa politique. Il reste clair que M. Clemenceau, qui avait une influence redoutable sur tous les ministères, était en même temps en relations intimes d’affaires avec le plus suspect des agioteurs cosmopolites, qu’il a tenu du reste à défendre jusqu’à ces derniers jours, jusqu’au moment où il a été arrêté par une exclamation foudroyante de M. de Mahy. Il est établi qu’il y a eu des ministres qui n’ont pas craint de subvenir à leurs dépenses secrètes par de louches négociations avec des aventuriers de Bourse. Voilà ce qui reste plus que jamais avéré après tous les débats qui se sont succédé depuis quelque temps ! C’est ce que M. Godefroy Cavaignac appelait de ce nom de « pratiques gouvernementales, » en les signalant à la réprobation de la chambre, qui les a en effet réprouvées.

Eh bien ! sur tous ces points qui n’ont rien de judiciaire, qui ne sont que de la politique, sur ces points où un gouvernement bien inspiré devrait avoir hâte de se dégager, quelle a été l’opinion de M. le président du conseil ? M. le président du conseil n’est certes point suspect pour lui-même. Il a cependant toujours évité de s’expliquer. Il a craint visiblement de désavouer des alliés avec lesquels il aurait dû être étonné de s’entendre aujourd’hui, — de désobliger M. Floquet, M. Clemenceau, de mettre du froid dans la « t concentration républicaine. » Plutôt que de se brouiller avec les radicaux, même avec les radicaux les plus