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sent le besoin d’une direction et d’une protection, qu’on appelle un gouvernement décidé à en finir avec les procès scandaleux et les expédiens équivoques, à remettre un peu d’ordre dans les faits et dans les esprits, à dégager la politique française de toutes les suspicions et de toutes les solidarités malfaisantes, à liquider en un mot une situation qui a trop duré.

Le fait est que dans cette situation où les scandales se sont accumulés depuis quatre mois, tout reste encore assez obscur, assez indécis. On a de la peine à sortir de toutes ces équivoques que le gouvernement, tout le premier, il faut l’avouer, contribue à prolonger et à aggraver par ses faiblesses ou par ses gaucheries, faute d’oser avouer ce qu’il veut et ce qu’il ne veut pas, si tant est qu’il le sache lui-même. Oh ! sans doute, il y a eu pendant quelques jours, si l’on veut, une apparence, un faux air d’apaisement ou tout au moins un certain ralentissement de cette campagne d’accusations, de récriminations, de divulgations qui ont fait perdre la tête à tout le monde, à commencer par les ministres. On se lasse à la fin et on lasse la curiosité publique, qui devient sceptique. Les journaux rabâchent. La commission d’enquête elle-même est à bout d’efforts et ne sait plus si elle doit se dissoudre ou si elle doit poursuivre son œuvre jusqu’ici assez vaine. Le dernier mot de ces récens procès de corruption, assez mal engagés et assez mal conduits, a été dit provisoirement à la cour d’assises par un arrêt souverain qui a frappé les uns, absous les autres, et est au-dessus des contestations. Est-ce à dire que tout soit fini, que de toutes ces agitations mêlées de péripéties et d’obscurités il ne se dégage pas une moralité supérieure, qu’il n’y ait qu’à laisser tomber dans l’oubli ce passé de quatre mois sur lequel le jury a prononcé ? Voilà la question !

Il faut s’entendre. Il y a deux parts dans ces tristes affaires. Il y a l’œuvre de la justice : celle-là est accomplie jusqu’à un nouveau procès, si on se décide à poursuivre de nouveaux accusés provisoirement insaisissables. Une première fois, la cour d’appel a eu à juger l’administration du Panama, et elle a rendu un arrêt qui, en ce moment encore, est soumis à la cour de cassation. Une seconde fois, la cour d’assises a été appelée à juger ce qui a pris le nom d’actes de corruption. Elle a vu se dérouler, pendant près de quinze jours, les plus émouvans débats, parfois entrecoupés de scènes dramatiques, parfois éclairés de témoignages au moins étranges. Le jury a reconnu qu’il y avait eu des corrupteurs, puisqu’il a condamné M. Charles de Lesseps en admettant pour lui des circonstances atténuantes ; il a déclaré aussi qu’il y avait eu des corrompus, puisqu’il a condamné, sans circonstances atténuantes, un ancien ministre, M. Baïhaut, concussionnaire avéré. Quant aux parlementaires, sénateurs ou députés mis en cause, les uns avaient été déjà l’objet d’une ordonnance de non-lieu, les autres ont été innocentés par le jury, qui n’a pu voir, à ce qu’il paraît, aucune différence entre ceux