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l’Ave Maria, se lance dans une digression pseudo-lyrique sur les cloches. Un peu plus loin, pendant la nuit de Noël, une femme de Bethléem qui vient de perdre son enfant reproche furieusement à Dieu de le lui avoir pris ; ce à quoi un vieux berger répond à peu près par les vers de Victor Hugo :


Hélas ! vous avez donc laissé la cage ouverte,
Que votre oiseau s’est envolé !


Puis, c’est la tête de saint Jean-Baptiste qu’on apporte et dont l’aspect convertit instantanément et inopinément Salomé. Sur ce point, MM. Silvestre et Morand ne développent plus, ils corrigent l’Évangile ; et sur bien d’autres encore, qui paraissaient fixés. Ainsi, je croyais fermement que le Christ, au jardin des Oliviers, voyant venir Judas, lui avait dit : « Mon ami, qu’êtes-vous venu faire ici ? » Au Vaudeville, il est venu, le misérable, faire une conférence et discuter avec son maître, qui lui donne la parole, la question, considérable d’ailleurs, mais peut-être déplacée ici, de l’origine du mal. J’ai vague souvenance d’avoir lu quelque chose comme cela dans le Caïn, de Byron. Adam disait à son fils :


Dost thou not live ?
Dost thou not live ?— Must I not die ?


répondait Caïn, le premier des pessimistes ; et c’était plus beau, plus court, et puis cela ne se jouait pas. Ici, tout se joue, tout ce qu’il est à la fois et sacrilège et ridicule de jouer. Que nous a-t-on montré encore ? Une forêt qui parle, et dont les arbres se refusent tour à tour à donner leur bois pour la croix ; mais le dernier accepte : c’est l’arbre où s’est pendu Judas. Enfin je ne vous transcrirai pas les imprécations de Barrabas (une autre surprise) et ses vaticinations d’antisémite en délire. Sachez seulement que cette déplaisante revue évangélique se termine par l’apothéose d’un Notre-Seigneur de la rue Saint-Sulpice. Et dire que toute cette dévotion de chromolithographie, ce Nouveau-Testament de musée Grévin, est placé sous le patronage de fra Beato Angelico ! Il faut espérer que le public ne goûtera pas longtemps ce faux exercice de piété, que n’excuse ni la musique, sincère pourtant, harmonieuse et douce de M. Gounod, ni la figuration de Notre-Seigneur par le prince d’Aurec, et de la Vierge par la tante de Flipote. J’ai craint un instant de voir paraître Mme Grassot. On nous l’a épargnée ainsi que M. Galipaux.


Camille Bellaigue.