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s’en inquiète, protestant d’avance contre le partage, vous savez, l’odieux partage, dont la seule pensée ne manque jamais d’amener le « pouah ! » traditionnel sur la lèvre des femmes loyalement adultères. « Vous ou lui. Jamais vous et lui. » Pour ces honnestes dames, comme pour Figaro, tout est dans la différence entre la conjonction dubitative et l’autre. Ce n’est pas la succession qui fait la faute, c’est le cumul, et l’adultère a ses devoirs, que dis-je, ses vertus. Randol, à qui Mme de Salus annonce le péril, ne s’en émeut pas outre mesure. Il devine que Salus est en disponibilité, voilà tout, et qu’il voudrait occuper avec sa femme les loisirs d’un entr’acte. Il vient de rompre avec une comtesse ; il courtise une chanteuse, la Santelli, qui se fait désirer ; et il est de ces hommes que la passion inassouvie rend semblables à des chiens enragés. « Ils vont devant eux comme des fous, comme des possédés, les bras ouverts, les lèvres tendues. Il faut qu’ils aiment n’importe qui, comme le chien ouvre la gueule et mord n’importe qui, n’importe quoi. La Santelli, conclut Randol, a déchaîné la bête, et vous vous trouvez à portée de sa dent, prenez garde. Ça, de l’amour ! Non, si vous voulez, c’est de la rage. » J’ai cité cette comparaison animale, parce qu’elle peint bien le caractère de M. de Salus.

Et quand Salus paraît, c’est en effet avec de telles dispositions, à jeun et très affamé, proposant à sa femme de prendre une succession vacante et de devenir sa maîtresse. Celle-ci alors lui joue une scène à la Dumas, la meilleure peut-être, mais sûrement la plus vilaine de la comédie. « Combien, demande-t-elle, vous coûtait la plus chère de vos maîtresses ? Voyons, cinq mille francs par mois ? Eh bien, donnez-les-moi tout de suite, et je vous signe un bail d’un mois. » Et comme il va pour les lui donner, elle les prend et les lui jette au visage, avec des paroles de mépris. Pourquoi de mépris ? Le piège est-il beaucoup moins honteux pour cette femme, qui l’a tendu, que pour ce mari, qui y est tombé ? En vérité, la Visite de noces nous fera demain l’effet d’une idylle ; Mme de Morancé n’est qu’une pensionnaire, et quant à Francillon, je ne prononcerai même pas ici le nom de cette petite sainte.

L’épreuve n’a fait qu’exaspérer le désir de M. de Salus ; Mme de Salus a dû se barricader chez elle. Après une défense de deux jours contre les violences et les brutalités de ce goujat, ayant tout à craindre, fût-ce l’effraction, elle prie Randol de l’enlever. Randol, après les objections d’usage, accepte enfin, par amour ou par politesse, et rendez-vous est pris pour le soir. Mais sur ces entrefaites revient Salus, le sourire aux lèvres, un sourire vainqueur. Il laisse entendre tout bas à Randol que la Santelli s’est rendue, au moins promise. Il prie Randol de rester le soir à dîner pour rétablir entre sa femme et lui la neutralité pacifique et platonique qu’il avait eu tort de vouloir rompre. Et.