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empaillés, tableaux flamands ou italiens, minéraux, coquilles, poissons, plantes marines, armures de tous les temps et de tous les pays, moulages de statues ou de bustes antiques, gravures, il avait rassemblé autour de lui l’Asie et l’Europe, tout ce qui pouvait amuser ses yeux, égayer sa pensée ou inspirer son génie. On sait l’importance qu’il attachait aux accessoires en peinture, le merveilleux parti qu’il en tirait. Il avait désormais tout sous la main. Hélas ! il sera exproprié, chassé inhumainement de chez lui, condamné à se retirer à l’auberge. Il ne connaîtra plus que des gîtes de hasard, il finira ses jours dans un triste réduit aux murailles nues, et son décès sera constaté sur les registres mortuaires de la Westerkerk par cette courte mention : « Mardi, 8 octobre 1669 ; Rembrandt van Ryn, peintre, sur le Roozegraft, vis-à-vis le Doolhof. Laisse deux enfans. » C’était en effet, avec « ses vêtemens de laine et de toile et ses instrumens de travail, » tout ce qu’il laissait ; l’inventaire en fait foi.

Ne le plaignons pas trop. Dans cette maison qu’il n’a jamais payée et qui lui coûta si cher, il a savouré les joies du paradis : il y fit des chefs-d’œuvre et il y eut des visions délicieuses ou magnifiques, que n’auront jamais les millionnaires et les empereurs. Ajoutons qu’il fut heureux en ménage plus qu’en affaires. Cette Saskia van Uylenborch qu’il a fait poser tant de fois, qu’il a métamorphosée tour à tour en Suzanne au bain ou en femme de Samson, et dont il n’a pas craint de révéler les grâces les plus secrètes en peignant la Danaé du musée de l’Ermitage, n’était point une beauté. Mais avec son visage plein, son nez renflé à l’extrémité, son front bombé, sa bouche mignonne, sa fraîcheur, ses petits yeux aux paupières épaisses, sa blonde et fine chevelure, elle avait ce genre de charme que Rembrandt recherchait dans ses modèles. Originaire de la Frise, issue d’une famille patricienne, fille d’un jurisconsulte distingué et restée orpheline à douze ans, il l’avait épousée par amour en juin 1634. Douce et facile, elle se donna à lui tout entière et sans réserve, n’ayant pas d’autre volonté que celle de l’homme qu’elle aimait et abandonnant son corps à l’artiste pour qu’il en disposât à son gré. Le seul chagrin qu’elle lui ait jamais causé fut de mourir en 1642, après huit ans de mariage.

Il ne se remaria point ; mais il ne pouvait se passer de la société d’une femme. Il n’alla pas la chercher hors de chez lui ; il était accoutumé à trouver tout dans sa maison. Une jeune fille nommée Hendrickje Stoffels, âgée de vingt-trois ans, était attachée depuis peu à son service ; il n’eut pas de peine à s’en accommoder. Cela fit scandale. En 1654, Hendrickje fut citée devant le consistoire, privée de la communion et sévèrement admonestée. Elle ne pouvait nier ; avant la fin de l’année, elle accoucha d’une fille, que Rembrandt, en souvenir de sa mère, fit baptiser sous le nom de Cornélie.

Comme Saskia, elle avait le visage peu régulier, le nez gros ; mais