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de le remercier, étonnée qu’il se cache si obstinément. Mais Marcélite l’excuse : « Il est si vieux ! si malade ! C’est un original !

Tout va bien jusqu’à ce que Marie-Modeste ait atteint sa dix-septième année. La directrice de l’établissement elle-même somme alors l’obstiné, le bizarre, l’égoïste M. Motte d’enlever sa nièce à une retraite dont elle n’est jamais sortie et où elle languit, lasse de cette vie cloîtrée. Il faut que, malade ou bien portant, le bienfaiteur mystérieux se décide à paraître. Marcélite, mise au pied du mur, n’ose parler ; elle se sent si coupable ! Une fois encore, elle se donne la joie de gâter son bébé, sa mignonne, elle lui apporte, pour la distribution des prix, une robe de mousseline des Indes taillée par la bonne faiseuse, des bas de soie, des bottines de satin blanc ; elle lui baise les pieds, contrite et désolée, tout en essayant ces choses à celle qui l’aime comme une excellente bonne, mais sans se douter de ce qu’elle lui doit. La cérémonie a lieu avec éclat, Marie-Modeste attire tous les regards, ses compagnes n’ont qu’une idée, voir surgir M. Motte, cet oncle adorable qu’elles envient à l’élève la plus choyée du pensionnat. Alors, M. Motte restant invisible comme de coutume, il faut bien que Marcélite se confesse, avec larmes ! C’est elle qui a tout fait, — oui, pour le mieux sans doute, mais sa chère petite maîtresse se résignera-t-elle à être l’obligée d’une pauvre esclave ? Et que deviendra Marie-Modeste maintenant, si la directrice ne veut pas la garder, car jamais elle ne pourra l’emmener vivre chez elle, une négresse : fi ! Elle aimerait mieux mourir que lui imposer cette honte !

Hâtons-nous d’ajouter que, si l’attendrissement de la jeune blanche en écoutant cet aveu est mêlé à un peu d’humiliation, il n’en paraît rien. Tout s’arrange, grâce à la bonté de la directrice, grâce au zèle d’un certain notaire vieux style, qu’on dirait détaché d’une comédie française du bon temps, M. Goupilleau, mais surtout grâce à la persistance du dévoûment de Marcélite qui assure à sa maîtresse un mari et une fortune, après lui avoir procuré les avantages d’une brillante éducation. Jusqu’à la fin, elle ment avec une facilité déplorable, mais avec de si bonnes intentions, et elle discerne si peu, pauvre âme, la différence entre le mensonge et la vérité ! Il y a des pages exquises d’un bout de l’autre de Monsieur Motte, malgré quelques longueurs, quelques puérilités et l’invraisemblance par trop naïve ; c’est un livre de début où éclate, pour ainsi dire, avec une sorte d’impétuosité, la vocation de l’écrivain. Mais il ne nous semble pas que cet écrivain soit doublé d’un romancier capable de soutenir une intrigue compliquée à travers trois cents pages ; le triomphe de miss King, comme celui de