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George W. Cable[1], qui d’ailleurs est natif de la Nouvelle-Angleterre, fut le premier à nous faire goûter dans ses Old Creole Days[2] la saveur d’un passé inconnu, en parlant de la Louisiane. Les gens du Sud le désavouent parce qu’il s’est égaré depuis dans des théories philanthropiques qui leur sont odieuses, réclamant pour les noirs tous les privilèges, même celui du mariage entre nègres et blanches. On lui a opposé Nelson Page, non pas, celui-là, un observateur du dehors, un passant, mais un vrai fils de l’aristocratique Virginie, pénétré, comme il convient, de cet orgueil de race qui, dans le cas présent, est peut-être en effet la sauvegarde d’une nation. Thomas Nelson Page annonce et prouve au monde, depuis peu, que le Sud, naguère écrasé, anéanti, est en train, comme le phénix, de renaître de ses cendres, et que ce nouveau Sud, après tout, n’est autre que l’ancien, avec les mêmes énergies dirigées vers des voies modernes. Nous avons éprouvé en rencontrant, dispersées dans plusieurs magazines, les esquisses si originales de ce jeune écrivain, un plaisir très rare, celui que l’on ressent quand, après avoir parcouru, jusqu’à la lassitude, beaucoup de sentiers battus, on découvre tout à coup un petit chemin nouveau.

Chez lui, du reste, il n’y a pas purement et simplement une imagination de romancier ; le généreux désir de fournir des matériaux à une histoire qui n’est pas encore écrite le possède. Il a publié, sous le titre de The Old South, une série d’essais d’une valeur véritable par les aperçus qu’ils nous ouvrent sur la vie sociale et politique de la Virginie d’autrefois, cette contrée chevaleresque dont sir Walter Raleigh est pour ainsi dire resté le patron idéal, bien qu’il ait laissé à un soldat de fortune, John Smith, le titre glorieux de « Père de la colonie. » En lisant The Old South, on apprend à bien connaître les origines et les développemens d’une civilisation vieille de deux siècles et demi où se fondirent les élémens divers de toutes les civilisations qui ont successivement éclairé le monde. L’Amérique lui est redevable de bien des choses : elle lui doit que la Louisiane ne soit pas française, que le Texas ne soit pas un gouvernement hostile, que le Mississipi appartienne dans toute sa longueur aux États-Unis ; elle lui doit Washington et Jefferson, plusieurs présidens, des figures militaires sans reproche, une longue série d’orateurs, de légistes et d’hommes politiques. Le nombre de célébrités fournies par le Sud témoigne assez que l’absence d’une littérature lui appartenant en propre n’est pas signe de pauvreté intellectuelle ; il faut attribuer cette pénurie à d’autres

  1. Voyez la Revue du 15 janvier 1884.
  2. Voyez la Revue du 1er novembre 1883 et du 1er janvier 1885.