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plus beaux marbres alors connus de l’antiquité. On y voyait, placés dans des « chapelles » ou ombragés seulement par la verdure, l’Apollon, le Laocoon, la « Cléopâtre » (Ariane), l’Hercule avec l’enfant (ainsi bien désigné d’abord ; les pédans ne tarderont pas à faire de lui un « Commodus »), l’Antée aussi, que Michel-Ange a si hautement estimé et qu’il faut maintenant aller chercher dans la cour du palais Pitti, à Florence, le Tibre enfin qui, depuis le premier empire, n’a cessé de faire l’ornement de l’une des salles du Louvre. Quelques-unes de ces œuvres, — ne l’oublions pas ! — seront pour les trois siècles à venir les chefs-d’œuvre suprêmes de la grande statuaire antique ; Winckelmann et Goethe ne connaîtront encore rien qui leur soit supérieur ; elles trôneront sans rival dans le royaume du beau absolu jusqu’à l’avènement des marbres d’Elgin et de la Vénus de Milo… Il y avait également une Vénus dans ce sanctuaire, une Venus Félix très exaltée, — appelée même la « Vénus du Belvédère » à l’instar de l’Apollon ; — mais cette statue bien médiocre ne méritait ni cet excès d’enthousiasme ni même l’honneur de figurer dans une telle place. Des vases, des sarcophages (l’un avec des prisonniers barbares, l’autre avec des amazones), des masques (au nombre de treize et qu’on disait provenir du Panthéon) complétaient la décoration de ce « verger » de Jules II[1], où Buonarroti et Raphaël ont certainement passé plus d’une heure d’études et de méditations.

Dans mes excursions si fréquentes au musée Vatican, j’aime parfois à me représenter le Belvédère tel que l’avait arrangé Bramante pour le pontife mécène. Je vois entrer Jules II par la porte de l’escalier tournant, en s’appuyant d’une main sur sa béquille, et de l’autre sur l’épaule de son architecte favori et surintendant

  1. A l’exception de l’Antée et du Tibre, tous les marbres qui ont été énumérés ici sont encore aujourd’hui au Vatican : la Vénus Félix et les deux sarcophages dans le pourtour du cortile (n° 42, 39 et 69) ; l’Hercule avec l’enfant (Télèphe) dans la galerie Chiaramonti (XXVI, n° 636) ; les masques dans le cortile même en haut, ainsi que dans la salle des Animaux et celle de Méléagre. — La Cléopâtre (Ariane) et le Tibre ne sont parvenus au viridarium qu’en 1511 et 1512, mais toujours sous Jules II, — Le Tibre est évidemment le pendant du Nil et a été même trouvé dans son voisinage, près Santa-Maria-sopra-Minerva ; il ne semble pas toutefois que le Nil ait été retiré, déjà sous le pontificat du Rovere, de l’endroit où il a été enfoui du temps du Poge, ce qui a lieu d’étonner, d’autant plus qu’Albertini connaît et cite le récit du Poge. — Pour reconstruire le « verger » de Jules II, il faut consulter le contemporain Albertini et les lettres des envoyés mantouans à Elisabeth Gonzague que M. A. Luzio a publiées dans son intéressante étude sur a Frédéric Gonzague otage à la cour de Jules II. » M. Michaelis n’a point connu les documens publiés par M. Luzio : de là quelques-unes de ses méprises (surtout au sujet du Tibre) dans son essai d’ailleurs si remarquable et plein de renseignemens sur l’histoire des.statues du Vatican (Jahrb. deutsch. archœolog. Instituts, 1890 ; V, I.)