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emmenés prisonniers en France (1500) ; mais le vice-chancelier de la sainte Église y eut une captivité beaucoup moins dure que le duc dépossédé de Milan : George d’Amboise, le puissant cardinal ministre de Louis XII, et qui a passé toute sa vie à rêver la triple couronne, tint à ménager le faiseur des papes ; il se fit même accompagner par lui au conclave de 1503, après la mort d’Alexandre VI, dans l’espoir quelque peu naïf de trouver en lui un auxiliaire pour ses projets ambitieux. Acclamé à son retour avec enthousiasme par la populace romaine, qui avait gardé bon souvenir de son faste et de ses prodigalités, Ascanio ne pensa naturellement qu’à se faire pape lui-même. Cette fois encore, comme au conclave de 1492, le Rovere et le Sforza se trouvèrent en face et en compétition ; cette fois aussi, un autre fut élu : mais le pontificat de Pie III ne compta que vingt-six jours, et le neveu de Sixte IV finit par monter sur le trône de saint Pierre. George d’Amboise prétendit alors ramener en France son prisonnier félon : Jules II s’y refusa péremptoirement, et le vice-chancelier put demeurer dans la ville éternelle et y occuper ses loisirs de trames pour le recouvrement du duché de Milan. Il mourut à Rome peu de temps après (28 mai 1505) à la suite des fatigues d’une chasse, âgé de soixante ans, et le Rovere décida de lui élever un superbe mausolée : « Oubliant les dissentimens, dit l’épitaphe, et ne se souvenant que des vertus distinguées du défunt[1]… » Il y avait de l’orgueil, sans doute, dans un tel acte ; mais il y avait aussi bien de la générosité et peut être même du courage : pareils honneurs décernés à un Sforza proscrit et dépouillé par la France n’étant pas faits pour beaucoup plaire au roi Louis XII, maître de la Lombardie, et dont le pape avait toute raison à ce moment de ménager les susceptibilités.

Un mausolée d’un caractère si exceptionnel ne pouvait guère avoir les proportions modestes des autres sépulcres à Santa-Maria del Popolo. Nous sommes en 1505, et tel projet de tombeau, conçu par Michel-Ange, a déjà entraîné la reconstruction complète de Saint-Pierre ; pour le tombeau du Sforza, on se bornera à refaire la moitié de l’église bâtie, il y a trente ans, par Sixte IV. Bramante en agrandira considérablement le chœur ; Pinturicchio y peindra la voûte ; Guillaume de Marseille y décorera les fenêtres[2] ; quant au monument funéraire du cardinal Ascanio,

  1. « D. O. M. Ascanio Mariæ Sfortiæ Vicecomiti… Diacono card. S. R. E. vicecancellario… In secundis rebus moderato, in adversis sunimo viro… Julius II pontifex maximus, virtutum memor honestissimarum, contentionum oblitus, sacello a fundamentis erecto posuit M. D. V. »
  2. La chronologie de ces travaux dans le chœur de Santa-Maria del Popolo est très bien établie par M. Schmarsow (Pinturicchio in Rom, p. 82 seq.) ; toutefois le millesime 1505 sur le monument de Sforza indique seulement la date du décès du cardinal. Andréa n’est venu à Rome qu’en 1506. (Voy. Vasari, éd. Milanesi, IV, p. 515.)