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surprennent agréablement par une conservation peu ordinaire. L’architecture » est sobre, presque sèche, telle qu’on la pratiquait dans la ville éternelle au déclin du XVe siècle et avant l’arrivée de San-Gallo et du maître Donato da Urbino. La façade est simple, légèrement gâtée en haut par une réfection inintelligente ; l’intérieur, avec ses trois nefs et ses piliers flanqués de demi-colonnes, paraît écrasé et ne fait pas assez valoir la coupole octogone au tambour complet ; mais cette coupole, — la première de ce genre à Rome, — annonce déjà le goût naissant pour les constructions centrales dont Saint Pierre deviendra plus tard l’expression suprême. Dans les chapelles latérales, celles de droite notamment, le talent de Pinturicchio et de ses compagnons se déploie avec bien de la facilité et de la grâce, et les nombreux monumens funéraires en marbre révèlent des mains pour la plupart inconnues, mais supérieurement douées. Sur ces monumens on lit les noms aussi de plusieurs Rovere, — Domenico, Giovanni, Cristoforo, etc., — les noms de Cibo, Albertoni, Mellino, Pallavicino, Chigi. On voit qu’on est là dans une église que deux puissans papes ont singulièrement affectionnée et que leurs parens et amis se sont fait un devoir d’enrichir d’œuvres dignes d’un tel lieu.

Dans ce sanctuaire de la famille et de l’amitié, Jules II, dès le début du règne, eut la pensée originale d’accorder une tombe et un monument à un rival, à un ennemi, adversaire naguère redoutable et longtemps acharné à sa perte.

Le cardinal Ascanio-Maria Sforza a été, en 1492, le principal auteur de la scandaleuse élection d’Alexandre VI ; il l’a été en haine de Giuliano della Rovere, dont il voulait à tout prix empêcher l’avènement, n’ayant pu obtenir la tiare pour lui-même. Il fut vice-chancelier de la sainte Église, le bras droit du Borgia ; et devant l’inimitié de ces deux hommes ligués contre lui, le neveu de Sixte IV dut chercher refuge à l’étranger. Alors commença pour le Rovere une vie d’exil et de lutte, une vie d’intrigues et d’agitations décevantes, pendant que l’astre du cardinal Sforza fut toujours dans l’ascendant en Italie, grâce surtout à la fortune prodigieuse d’un frère (l’entente avec le Borgia n’eut pas de longue durée). Le frère n’était autre que Louis le More, « le Périclès de Milan, » le protecteur de Bramante et de Léonard de Vinci, le meurtrier aussi de son parent Galeazzo et l’usurpateur de son trône : « Homme très saige, dit Coniynes, mais fort craintif et souple quand il avoit paour, et homme sans foy, s’il veoit son prouffit pour la rompre… » Il la rompit si souvent, qu’il finit par se perdre ; traître envers tout le monde, il fut trahi à son tour par ses mercenaires suisses, et entraîna Ascanio dans sa chute. Les deux Sforza furent