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urbis Romœ. Assis un jour, avec son très honorable collègue Antonio Loschi, sur la colline du Capitole, « comme Marius sur les ruines de Carthage, » le secrétaire apostolique du pape Martin V jette un regard attristé sur cette ville qui autrefois a dominé le monde et qui maintenant est étendue à ses pieds « semblable au corps inanimé d’un géant dépouillé de ses armes et couvert de blessures. » Plus douloureux encore que les bouleversemens venus du dehors, paraissent à Poggio les ravages que la cité n’a cessé d’exercer contre elle-même. Cet édifice en lace, à la double rangée d’arcades, qui sert maintenant de magasin public de sel, c’était jadis le tabularium, — les grandes archives de la république où furent déposés les lois et les traités du peuple-roi dans des tables d’airain ; — le sel ronge les murs, les piliers et jusqu’à l’inscription de l’édifice : ce n’est plus qu’avec peine qu’on peut y déchiffrer le nom de Q. Lutatius Catulus ! .. « La première fois que je suis venu dans cette ville, le temple de la Concorde là-bas (ou plutôt de Saturne) était encore debout et presque entier ; depuis, les habitans ont complètement détruit la belle construction en marbre ; quelques colonnes du portique sont seules restées. » Et l’humaniste poursuit ainsi ses variations pleines d’une mélancolie érudite sur le thème douloureux de locus ubi Roma fuit, énumérant les temples, les portiques, les thermes, les théâtres, les aqueducs, les ports, les palais, tous disparus ou ruinés. Parmi les statues en marbre encore préservées, Poggio ne nomme que cinq, et dans ce nombre les Dioscures (du Monte-Cavallo) alors aux Thermes de Constantin ; le Marc-Aurèle en bronze avait sa place devant le Latran. Il raconte aussi que, de son temps, on avait déterré, dans un jardin auprès de Santa-Maria sopra Minerva, une statue couchée « plus grande que toutes celles qui se trouvent dans la ville, » — le Nil, aujourd’hui un des plus beaux ornemens du Braccio nuovo, — mais que le propriétaire, importuné par les visiteurs que la trouvaille lui attirait, a préféré l’enfouir de nouveau sous terre…

Bien différent de ce tableau, rapporté à l’année 1430 par Bracciolini, était l’aspect que présenta Rome vers la fin du même siècle,.au moment où la connut pour la première fois le jeune Buonarroti (été 1496). Sous le régime des papes humanistes, l’incurie d’autrefois pour les chefs-d’œuvre de l’antiquité avait fait place, dans la ville aux sept collines, à un amour passionné, à un culte presque officiel. On continuait, il est vrai (on continuera encore longtemps, hélas ! ) de ruiner les ruines, d’employer pour diverses bâtisses en construction les pierres et les colonnes du Colisée ou du théâtre de Marcellus ; mais les moindres restes de la statuaire classique étaient, en revanche, recherchés avec ardeur, achetés au prix de l’or, conservés avec un soin jaloux. On fouillait et retournait à cet