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veuillez, pour notre première impression, ne pas nous donner l’exemple et la leçon de votes passionnés et de parti contre les opinions et contre les personnes. » Il avait d’un seul coup étonné et conquis l’assemblée ; il avait frappé juste, et il ne connaissait tout son succès qu’en voyant M. Guizot lui-même monter aussitôt à la tribune comme pour atténuer l’effet de ce petit discours par une diversion d’éloquence, — en voyant aussi le système des invalidations de parti à peu près abandonné désormais par la chambre. On a fait du chemin depuis dans l’intelligence et à la poursuite des garanties libérales ; on a fait des progrès, en revenant au-delà de 1846, — et même au-delà de la Restauration !

L’autre affaire, où M. de Falloux s’essayait pour ses débuts de tribune, était d’un ordre sinon plus simple, au moins plus pratique et tout économique. Il s’agissait d’une simplification et d’une réduction des vieux tarifs de postes qui pesaient d’un poids lourd et inégal sur le pays, de cette réforme postale qui a passé depuis dans les faits et s’est même prodigieusement étendue, mais qui rencontrait alors dans le ministère un curieux entêtement de résistance. M. de Falloux défendait cette modeste et bienfaisante réforme en homme d’affaires, avec une élégante précision dans le maniement des chiffres, par une série de démonstrations nettes et vives ; il la défendait comme un acte d’équité prévoyante, et il ajoutait en guise de profession de foi : « Dans le domaine de la politique, je crois que ce sont les abus qui sont révolutionnaires, les réformes qui sont conservatrices. En matière de finances, je crois que c’est la routine qui appauvrit le trésor public et que ce sont les innovations judicieuses et réfléchies qui l’enrichissent[1]. » Il s’essayait aux affaires pratiques ; il se préparait à aborder les questions plus hautes ou plus délicates qui s’agitaient partout et passionnaient l’opinion, entre autres, cette question à la fois religieuse et politique de la liberté de l’enseignement qui restait en suspens entre les partis. M. de Falloux ne se hasardait pas encore à ces discussions, pas plus qu’aux grands débats de diplomatie qui s’ouvraient sur les relations troublées de la France et de l’Angleterre, sur les récens mariages espagnols, sur les agitations de l’Italie et de la Suisse[2]. Il laissait ce rôle à un Montalembert ou à

  1. On retrouvera ces discours dans l’ouvrage : Discours et mélanges politiques, par le comte de Falloux. Tous ces discours parlementaires de M. de Falloux tiennent dans un demi-volume ; mais ils sont tous des actes et ils ont tous leur cachet.
  2. Un des exemples les plus frappant, du soin que Berryer mettait toujours à ne point sacrifier un intérêt national à l’intérêt de parti, sans marchander même son appui à un gouvernement qu’il n’aimait pas, est la discussion sur les mariages espagnols. Berryer, par fidélité à des traditions nationales, par des raisons de politique séculaire, n’hésitait pas à soutenir M. Guizot et à approuver les mariages espagnols, au risque du trouble irréparable que cet acte jetait dans les relations avec l’Angleterre.