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marquis de Castellane, qui allait être enlevé par une mort prématurée, M. Werner de Mérode, M. de Goulard, M. Sallandrouze, le brillant Charles de Morny, dont il avait été le camarade de collège[1]. Il était, lui, royaliste de cette génération nouvelle, un peu impatiente, qui faisait pour ainsi dire sa trouée, — un des plus distingués parmi ces jeunes hommes, en qui et par qui, selon le mot de notre infortuné Forcade, devait se faire la réconciliation de la vieille France et de la France nouvelle. « En politique, en religion, il appartenait au parti qui gardait le dépôt des intérêts traditionnels de la France ; mais son âge, ses études, ses habitudes de vie active le rangeaient dans la société nouvelle… » Ainsi il apparaissait avec ses traits distincts et son originalité de jeune parlementaire.

Une des habiletés de M. de Falloux fut de savoir se conduire dans cette chambre, où il était un nouveau-venu, de ne pas se jeter du premier coup dans les grandes discussions de politique où il eût pu paraître encore novice et peut-être présomptueux. Il choisissait au contraire pour son début les plus modestes affaires. Il s’agissait la première fois d’une simple vérification de pouvoirs, de l’annulation arbitraire d’une élection, où l’élu, un député de la gauche, avait pris des engagemens avec les catholiques pour la liberté religieuse. M. de Falloux se levait pour défendre cette élection. Un témoin, un curieux du temps, l’a dit : « Il y avait dans sa personne une distinction native, comme un signe de noblesse moitié militaire, moitié ecclésiastique. Sa taille était élevée ; sans rien d’altier, sa figure comme sa prestance tenait un peu plus du passé que du présent ; elle provoquait l’attention. Sa voix avait de la clarté et un certain charme de sonorité. Il commença comme un maître ; sa phrase simple, correcte, conçue et formée avec précision, pénétra tout de suite dans l’attention de l’assemblée. Pendant un quart d’heure il la captiva. » Et pendant ce quart d’heure il avait eu le temps de prendre position en disant, sans affectation, d’un ton simple et net : « J’appartiens à une génération qui entre pour la première fois dans les affaires publiques, qui est née, qui a été élevée sous le régime constitutionnel, qui n’en a jamais connu et n’en a jamais servi d’autre. Nous sommes donc, et nous devons l’être, plus jaloux que qui que ce soit dans cette enceinte de la dignité et de la pureté de nos mœurs constitutionnelles ; mais vous qui devez nous servir de guides dans la carrière où nous entrons,

  1. Au moment où M. de Falloux venait d’être élu, Lacordaire écrivait à Mme Swetchine : « Voilà donc notre ami commun député. C’est un grand fardeau et j’espère qu’il s’en tirera à son honneur autant qu’au profit du bien. Dites-lui que je m’abstiens de le féliciter de peur qu’il ne me soupçonne de le ménager pour quelque bureau de tabac ou croix d’honneur, choses qui deviennent de plus en plus semblables… » (Correspondance de Lacordaire avec Mme Swetchine.)