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pris pour programme ce qu’écrivait, dans ses Lettres[1], Lamartine, qui avait vingt ans de plus, mais qui était du temps : « La politique a besoin de nous, tous jeunes et hors des préventions du passé. Le vrai n’est pas pour la France dans un gouvernement de regrets, de repentir, de souvenirs théocratiques ou aristocratiques ou absolutistes ; il est dans les besoins réels des esprits, dans le concours des intérêts et des intelligences les plus honnêtes et les plus larges, dans les espérances d’un avenir datant de la restauration et non de l’empire ou de l’ancien régime vermoulu. » C’était l’idéal entrevu pour toute une génération à peine entrée dans la vie !

Que serait-il arrivé si cette génération royaliste avait eu le temps de mûrir et d’entrer dans l’action, de se former aux rôles publics, aux libres débats des affaires du pays avec une jeunesse libérale contenue à son tour dans le cadre d’institutions respectées, si la dernière représentation d’une royauté surannée eût disparu à propos, de mort naturelle, laissant la place à un esprit nouveau, à tout ce qui était jeune et actif ? Oui, que serait-il arrivé ? Tout aurait été probablement changé sans que rien fût interrompu en France. Une révolution aurait pu sans doute être évitée : un nouveau règne, surtout le règne d’un enfant succédant au vieil hôte couronné des Tuileries, à l’aimable, mais frivole et aveugle Charles X, aurait pu, c’est à croire, être une diversion heureuse, détendre les conflits croissans des partis et apaiser les passions en ouvrant une carrière inattendue. Que serait-il même arrivé si, au lieu de se livrer au mysticisme béat et aux puériles témérités de M. de Polignac, le vieux roi s’était fixé au ministère Martignac, sans se laisser ni abuser ni déconcerter par les tactiques des factions extrêmes ? Il serait vraisemblablement mort aux Tuileries ! Il aurait peut-être indéfiniment détourné l’orage de la dynastie. C’est possible ; mais ce n’est là qu’une fiction de l’esprit. Ce n’est qu’un rêve rétrospectif, l’illusion d’une histoire imaginaire. L’histoire réelle, c’est que, sur ces entrefaites, un jour de juillet 1830, éclatait le périlleux duel entre les droits du roi et les droits du peuple, ces droits qui, au dire de Retz, ne s’accordent jamais mieux que dans le silence, qu’à un défi royal répondait l’insurrection populaire, et que l’insurrection victorieuse changeait encore une fois le cours des choses, les destinées de la France. Grand trouble assurément qu’on essayait de pallier ou de limiter en le réduisant à une substitution de famille régnante, mais qui était par le fait la plus sérieuse, peut-être la plus irréparable atteinte à l’institution monarchique par la cessation de l’inviolabilité. Jusque-là un amas

  1. Correspondance de Lamartine, t. III, lettre à M. de Virieu.