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régime, son cadre, qui a passé sa vie à se débattre dans des situations fausses et n’a connu que les regrets ou les espérances.

Né aux grands jours de 1811, dans le silence de la vie provinciale, sur cette terre d’Anjou où vivaient encore les souvenirs des guerres vendéennes et les vieilles mœurs rurales, Alfred de Falloux était de cette jeunesse qui n’avait pu connaître l’empire et qui trouvait d’ailleurs au foyer de famille d’autres cultes, d’autres traditions. Il était, a-t-il dit lui-même, d’une race qui « avait servi la monarchie sans éclat, mais avec fidélité, » sans réserve, mais sans servilité. Par sa grand’mère, la marquise de Coucy, fille de Mme de Mackau, sous-gouvernante des enfans de France, il se rattachait à l’ordre ancien disparu dans l’orage. Par son père, fils d’échevins, qui avait émigré par entraînement de jeunesse, mais qui gardait une profonde admiration pour Mirabeau, pour Pitt, pour les grands débats de la vie publique, il recevait la première impression d’une société nouvelle gouvernée par la parole. Par ses relations locales, il se rattachait aussi à tout ce monde de gentilshommes angevins, les Meaulne, les Candé, les d’Andigné, les Turpin, qu’il avait vus de ses yeux d’enfant, dont il a tracé le portrait d’une plume légère et piquante. La fortune de sa famille avait été des plus modestes ; elle s’était trouvée subitement agrandie par l’héritage inespéré d’un oncle inconnu, vieil avare, parfait original, qui, pour n’avoir pas à payer ses couchers dans ses voyages, avait fait acheter une maison à chaque étape sur la route de Paris. L’héritage de M. de la Crossonnière avait fait d’Alfred de Falloux un jeune fils de famille vivant moitié à Angers, pour ses études, moitié dans un petit domaine du Craonnais qui s’appelait alors La Mabouillère, — et dont il a fait depuis le beau et riche Bourg d’Iré. Ainsi il avait grandi en ce pays angevin aux mœurs simples et attachantes, à un foyer domestique tout imprégné de royalisme, dans l’atmosphère nouvelle d’une monarchie restaurée, sortie des plus miraculeuses convulsions avec ses vieux prestiges, mais relevée ou vivifiée désormais par les luttes libérales. Par lui-même, il était d’une nature ouverte, gracieuse et facile, éprouvant autant de curiosité que de plaisir à entendre son aïeule raconter ses souvenirs de Versailles, son père parler des grands duels parlementaires, ou sa voisine, Mme d’Armaillé, chanter des airs de Grétry ou quelque chanson vendéenne.

Ce que l’éducation provinciale avait commencé, l’éducation parisienne l’achevait en ouvrant, devant un jeune et aimable esprit, de nouvelles perspectives, la grande vie du siècle et de la France. On était aux plus beaux temps de la Restauration, à ces temps presque légendaires, où l’on s’enflammait pour les luttes de la politique, pour les lettres, pour les arts, où se formait une