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avec une parfaite simplicité. M. Cleveland, qui était descendu la veille dans un hôtel, est allé rejoindre M. Harrisson, et tous deux, suivis des deux vice-présidens, se sont rendus au Capitole où les membres du congrès étaient déjà réunis. Le nouveau président a prêté son serment en baisant la Bible, et cela fait, sortant du Capitole, entouré des membres du congrès, du corps diplomatique, des chefs militaires, il a prononcé un discours, son premier message, devant le peuple assemblé. Puis il a regagné la Maison-Blanche pour ses réceptions, — tandis que son prédécesseur, M. Harrisson, prenait le train pour Indianapolis. Et voilà M. Cleveland installé pour quatre ans dans sa magistrature, avec une politique nouvelle, avec un ministère assez bizarrement composé d’hommes dont aucun n’est peut-être à sa place là où il est.

À dire vrai, ce ministère semblerait assez peu significatif par lui-même ; mais le cabinet importe peu là où les ministres n’ont rien à démêler avec le parlement. L’essentiel est dans la politique que le nouveau président représente, qu’il porte avec lui au pouvoir, et cette politique, M. Cleveland l’a retracée une fois de plus, le jour de son inauguration, avec autant de vigueur que de netteté. Le nouveau président n’accepte qu’avec restriction l’héritage que les républicains lui ont légué, ou plutôt il ne l’accepte pas du tout, et il se promet de réformer tout ce qui, depuis vingt ans, a si profondément altéré la vie publique aux États-Unis. Il s’est prononcé résolument contre le parasitisme étouffant d’un protectionnisme outré, contre le favoritisme gouvernemental et les corruptions administratives qui ont perdu les républicains au pouvoir, contre les monopoles abusifs, contre l’extravagante extension des « pensions nationales, » accordées par faveur de parti, dans un intérêt électoral, à de prétendues victimes de la guerre de sécession. Il s’est prononcé surtout avec énergie pour la réforme des tarifs Mac-Kinley, qui ne sont que l’exploitation organisée des masses populaires et mettent le Nouveau-Monde en conflit avec l’ancien. Le langage de M. Cleveland respire le libéralisme et l’honnêteté. Reste à savoir ce que sera dans la pratique cette politique nouvelle si hautement avouée, mais qui n’est encore qu’un vœu, une promesse, et ne peut pas même être immédiatement réalisée. Par une combinaison singulière des institutions américaines, en effet, tandis qu’un nouveau président entre à la Maison-Blanche, l’ancien congrès, qui a une majorité toute républicaine, qui a voté le bill Mac-Kinley, existe toujours et ne disparaîtra légalement que dans quelques mois, à l’automne. Ce n’est qu’alors que le nouveau congrès, tout démocrate, élu même avant le président, entrera en fonctions, et qu’il pourra y avoir une certaine harmonie entre tous les pouvoirs animés d’un même esprit.

Ce qu’il y a de caractéristique aujourd’hui dans les affaires américaines, c’est cette évolution même qui s’accomplit par la force de l’opinion. C’est la première fois depuis plus d’un quart de siècle,