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partis. M. Beernaert voudrait éviter, avant tout, que ce grand mouvement de révision finît par un aveu d’impuissance parlementaire, et comme il sait que rien n’est possible, si on n’a pas une majorité des deux tiers des voix, il met tout son art à conquérir cette majorité, en ménageant quelque transaction avec la gauche modérée, représentée par M. Frère-Orban, M. Graux. Au fond, il est clair que le suffrage universel pur et simple excite de vives défiances dans le parlement, même parmi les libéraux et que dans tous les camps, c’est à qui cherchera des atténuations. Seulement ici encore on se divise : les uns cherchent ce qui peut favoriser le vote des campagnes, les autres, ce qui peut favoriser le vote des villes.

On en était là lorsque tout récemment est survenu un incident aussi singulier qu’imprévu. Les partisans du suffrage universel, comptant évidemment profiter des divisions et en imposer au parlement, ont tenté un coup hardi. Ils ont imaginé une vaste consultation populaire, une sorte de « référendum » ou de scrutin volontaire et libre. Ce « référendum, » ils l’ont d’ailleurs organisé, il faut le dire, dans les conditions les plus régulières possible, avec les plus sérieuses garanties de correction et de sincérité. Ils ont mis les divers systèmes aux voix dans le pays. Qu’est-il arrivé ? À Bruxelles, sur 110,000 inscrits, il y a eu plus de 60,000 votans et plus de 50,000 voix pour le suffrage universel de M. Janson et de M. Nothomb. Tous les autres systèmes n’ont eu que d’insignifiantes minorités. Presque partout où le scrutin a été ouvert, le vote est dans les mêmes proportions. Ce n’est sans doute qu’une consultation sans autorité légale, un simple pétitionnement, si l’on veut. Le vote n’est pas moins curieux et significatif, de sorte que le parlement belge, au moment où il est enfin entré dans ce solennel débat de la révision, s’est trouvé sous le coup de cette manifestation spontanée. Il n’est point lié, c’est vrai ; il garde sa liberté, et même, à ce qu’il semble, ses défiances. Il peut toujours voter quelque combinaison qui ralliera les catholiques et les libéraux modérés. Il risque seulement de voir se relever devant lui le drapeau du suffrage universel, — et au lieu d’en finir cette fois par une large révision, de laisser une arme, un prétexte, à des agitations nouvelles qui peuvent n’être pas sans péril pour la Belgique.

Les agitations, même les agitations légales ou électorales, ont toujours leur gravité dans tous les pays ; on ne sait jamais ce qui peut en sortir. Elles sont sans doute inhérentes à la vie libre ; elles ne sont pas moins dangereuses, onéreuses et quelquefois pleines de surprises. Quel est le caractère et quel sera le résultat de ces nouvelles élections espagnoles qui se préparaient depuis plus de deux mois, depuis l’avènement du cabinet libéral de M. Sagasta et qui viennent enfin de s’accomplir ? Ces élections, à vrai dire, étaient inévitables, à peu près forcées. À chaque ministère nouveau il faut des chambres nouvelles. C’est une