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Bulgarie, se sentirait offensé. Le cabinet de Pétersbourg, malgré la longanimité qu’il a montrée depuis quelques années vis-à-vis de la Bulgarie, a protesté énergiquement. De sorte que ce mariage risque tout à la fois d’envenimer l’antagonisme entre l’Autriche et la Russie, de soulever les passions religieuses en Orient et d’obliger le tsar à accentuer sa politique. Ce n’est peut-être pas le meilleur moyen de préparer la solution pacifique de cette question des Balkans, qui reste un des périls de l’Europe, puisqu’elle ravive sans cesse cette autre question de la validité du traité de Berlin.

Si notre vaillante voisine, la Belgique, pour sa part, arrive enfin à réaliser jusqu’au bout cette œuvre de révision constitutionnelle qu’elle a entreprise, elle n’y sera pas arrivée sans peine, sans bien des marches et des contremarches. Elle aura du moins cette satisfaction de se dire qu’une révision toute légale, si laborieuse qu’elle soit, fût-elle même modeste, vaut toujours mieux qu’une révolution. Voici bientôt un an que des élections extraordinaires ont été faites pour donner à des chambres nouvelles un mandat constituant ; voici plus de six mois que des commissions nommées par la chambre des représentans et par le sénat sont au travail, qu’on s’agite, qu’on délibère et qu’on dispute ou qu’on négocie. Après les études prolongées et un peu obscures des commissions, le débat vient de s’engager à la pleine lumière dans le parlement lui-même. Où en est-on en définitive ? Le point vif et délicat, il était facile de le prévoir, est toujours le droit de suffrage. Tout le reste est pour ainsi dire épisodique ou laissé provisoirement dans le demi-jour. L’électorat, c’est la seule question qui ait le privilège d’émouvoir l’opinion, qui passionne même le pays et qui, à parler franchement, soit la sérieuse raison d’être de la révision. La réforme de la loi électorale par l’abolition ou la réduction du cens, c’est un point à peu près admis ; tout le monde, ou à peu près tout le monde finit plus ou moins par y arriver. Seulement dans quelle mesure l’extension du suffrage doit-elle être réalisée ? C’est ici que la confusion recommence et que les divisions éclatent parmi les catholiques maîtres de la majorité ordinaire comme parmi les libéraux.

C’est la bataille des systèmes dans tous les camps et dans le parlement. Il y a ceux qui, entraînés par le mouvement, réclament le suffrage universel à peu près sans limites ; M. Paul Janson, parmi les libéraux avancés, M. Nothomb, parmi les catholiques, sont de ce nombre. Il y a aussi ceux qui, sans être bien convaincus de la nécessité d’une révision, cèdent à un courant difficile à détourner, mais qui veulent entourer l’extension du suffrage de conditions et de garanties. Il y a les partisans d’une réduction du cens à 10 francs, les partisans de certaines conditions modestes de capacité, les partisans de ce qu’on appelle « l’habitation, » adoptée comme garantie. Le chef du ministère, quant à lui, M. Beernaert, fait de la diplomatie entre tous les