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rattache à l’empire ottoman, il ne faut pas croire que les affaires orientales cessent d’avoir leur gravité dans les affaires de l’Occident. C’est le contraire qui est vrai. Ce débat oriental, il est depuis longtemps ouvert, il reste toujours ouvert. Le moindre incident suffit pour rappeler que rien n’est réglé et fini. Une conversation récente d’Abbas-Pacha avec un simple journaliste anglais prouve que le jeune vice-roi du Caire se préoccupe avec anxiété de la situation qu’on veut lui faire, des intentions de l’Angleterre, et quelles que soient les vues de lord Salisbury ou de lord Rosebery, l’Europe ne pourrait certes se désintéresser de tout ce qui affecterait l’ordre international créé en Égypte. Le mariage du prince Ferdinand de Cobourg, établi depuis quelques années sans être reconnu à Sofia, a réveillé la question des Balkans, la question du traité de Berlin et de ses suites. Si ce n’était qu’un mariage princier de plus, ce ne serait rien, ou du moins ce mariage ne serait qu’un curieux épisode du temps. Que de changemens se font dans le monde ! La jeune fiancée du prince Ferdinand de Cobourg, petit-fils du roi Louis-Philippe, est une princesse fille du duc Robert de Parme-Bourbon, petite-nièce de M. le comte de Chambord, — et la plus pure légitimité se trouve ainsi alliée à une famille qui est sur tous les trônes révolutionnaires de l’Europe, qui poursuit aujourd’hui une couronne révolutionnaire de plus en Bulgarie ! Le couple princier est charmant, dit-on ; il va courir l’aventure !

Si ce n’était que cela, ce serait fort bien. Malheureusement, c’est la politique qui complique tout ou risque de tout compliquer. Par son mariage, le prince Ferdinand de Cobourg entre plus intimement dans la famille impériale d’Autriche et se crée assurément des appuis à la cour de Vienne, où l’on ne demandait sans doute pas mieux que d’avoir un prince dévoué à Sofia. C’est un avantage si l’on veut. Il reste à savoir si l’avantage n’est pas compensé par le danger d’aggraver, de rendre peut-être irréparable l’antagonisme d’influences qui règne à Sofia ; mais ce n’est rien encore. Une des conditions de ce mariage destiné à assurer l’avenir des nouveaux souverains de Bulgarie a été, à ce qu’il semble, la révision de l’article de la constitution bulgare qui impose au prince régnant la profession de la foi orthodoxe. Le dictateur, M. Stamboulof, s’y est prêté et a proposé la révision, qui sera sans doute adoptée. Voilà justement où tout se complique ! Il est évident que cette infidélité à la foi orthodoxe était faite pour froisser une partie de la population bulgare, surtout l’Église qui a protesté, et on a été obligé de recourir à des actes violens de répression contre le métropolite de Tirnovo, Mgr Clément. De plus, cette révision ressemblait à une déclaration de rupture avec la Russie, à une sorte de défi porté au tsar, protecteur né de la religion orthodoxe. On devait bien penser que l’empire, qui de tout temps a fait de la protection des chrétiens d’Orient la loi de sa politique, qui a été après tout le libérateur de la