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et par l’approche des élections. On le voit bien : cette chambre qui marche vers sa fin, elle est réunie depuis les premiers jours de l’année ; nous sommes au troisième mois, et elle n’a pas pu même arriver à voter un budget sérieux. Elle a passé son temps à interpeller ou à s’amuser, à imaginer toute sorte d’impôts puérils ou décousus, déguisés sous le nom de réformes : impôts sur les patentes des grands magasins, impôts sur les vélocipèdes, impôts sur les pianos, impôts sur les livrées, etc. ? C’est l’impuissance puérilement agitée dans la confusion. Où y a-t-il dans tout cela une force, un point d’appui, des élémens de « concentration ? » On n’a pas voulu voir que, dans une situation nouvelle, la première condition d’une action sérieuse était de « changer de système, » — et c’est ainsi que, par une fausse direction politique comme par une fausse direction judiciaire, on n’est arrivé qu’à augmenter le gâchis. Voilà le résultat !

Le plus grave en tout ceci est qu’on ne voit plus trop comment on sortira de cette crise, que les dernières scènes d’audience et la démission de M. le garde des sceaux, Bourgeois, ont poussée à l’état aigu. Quand on ne sait plus où on en est, on a recours aux interpellations qui, le plus souvent, ne servent à rien, — et c’est ce qui est arrivé encore une fois hier au palais Bourbon par ce nouveau débat qui s’est engagé à l’occasion des récens incidens. C’était pour la dixième fois la séance des explications qui deviennent promptement des tumultes, et, tout bien compté, on n’est pas plus avancé. L’ancien ministre de la justice s’est expliqué devant la chambre, — il avait tenu avant tout, on ne sait trop pourquoi, à aller s’expliquer devant la cour d’assises, — et on n’est pas mieux fixé sur la vraie et décisive raison de sa démission. M. le président du conseil, à son tour, s’est expliqué au milieu des orages et il a même fini par avoir une fois de plus un ordre du jour favorable ; mais il est bien évident que c’est là une de ces victoires qui ne donnent ni force, ni autorité à un ministère démembré et affaibli. Ce sera, on le sent, à recommencer demain ! Que deviennent cependant les intérêts les plus sérieux du pays ? Lorsqu’il y a quelques semaines, en plein parlement anglais, on demandait à M. Gladstone s’il y avait eu des négociations récentes avec la France au sujet de l’Egypte, M. Gladstone répondait avec mesure qu’on s’était abstenu par égard pour notre nation et pour nos épreuves intérieures ; c’est-à-dire que les plus grandes affaires sont suspendues. Voilà la cruelle moralité de cette crise qui se prolonge au détriment du crédit et de la dignité de la France !

Parce que la paix règne à peu près dans les rapports des peuples, parce que la plupart des États ont leurs préoccupations, leurs crises ou leurs diversions intérieures, il ne faut pas se hâter d’en conclure que les questions qui divisent l’Europe aient disparu. Parce que depuis quelque temps on parle peu de l’Orient, des Balkans, de tout ce qui se