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Les débats du Luxembourg se rouvrirent au jour fixé et continuèrent sans interruption les 4, 5 et 6 décembre. Serré de près sur sa détection du 14 mars, le maréchal donna des explications qu’il résumait par ces mots : « Les événemens ont été si rapides, une tempête si furieuse s’est formée sur ma tête, que, chacun m’abandonnant, chacun cherchant à se sauver à mes dépens et en me sacrifiant, j’ai été entraîné à l’action que vous connaissez. » On entendit tous les témoins qui avaient joué un rôle en Franche-Comté à l’époque du retour de l’île d’Elbe. La déposition intéressante et dramatique lut celle de Bourmont ; il se disculpa, il accabla le maréchal. Le long dialogue entre ces deux hommes est clairement exposé et justement apprécié dans le livre de M. Welschinger. À la fin, Bourmont ayant dit que le seul moyen de paralyser l’influence du maréchal eût été de le tuer : « Vous m’auriez rendu un grand service, s’écria Ney, et peut-être était-ce là votre devoir ! »

Les avocats disputèrent sur la question de fait, pour écarter la préméditation, pour atténuer la responsabilité de leur client ; mais, convaincus d’avance que la cause était perdue sur ce terrain, ils avaient décidé de porter tout l’effort de la défense sur les garanties consacrées par l’article 12 de la capitulation de Paris. Davout, ministre de la guerre du gouvernement provisoire, Guilleminot et Bondy, plénipotentiaires de ce gouvernement, vinrent déposer sur le sens qu’ils avaient entendu donner à cet article. Aux premiers mots qu’ils dirent, et sur les réquisitions de Bellart, le chancelier Dambray leur ferma la bouche ; la chambre, formée en comité secret, avait décidé de couper court à tout débat sur la convention du 3 juillet. Devant ce parti-pris arbitraire, l’édifice de la défense s’écroulait. Berryer et Dupin ne purent que protester avec indignation ; Ney se leva une dernière fois et lut la courte déclaration qui finissait ainsi : « Je fais comme Moreau : j’en appelle à l’Europe et à la postérité ! »

À cinq heures du soir, le 6, on fit évacuer la salle, pour procéder à la délibération du jugement et au vote nominal sur les conclusions. Les pairs de France qui avaient fait partie de la Convention, — il y en avait, — durent se rappeler, toutes proportions gardées, l’appel des votans à la tribune dans la nuit du 19 janvier 1793. Sur les 161 membres présens, 160 répondirent « oui » à la question de culpabilité ; trois pairs, Lanjuinais, d’Aligre et Richebourg, ajoutèrent cette restriction : « couvert par la capitulation de Paris. » Un seul « non » se fit entendre, accueilli par la chambre avec stupeur, et aussitôt expliqué par ces paroles infiniment justes : « Il est des événemens qui, par leur nature et leur portée, dépassent la justice humaine, tout en restant très