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décision ultérieure des chambres ; dix-neuf pour la comparution devant les conseils de guerre. Ces derniers noms désignaient les plus compromis parmi les généraux qui avaient passé à l’empereur ; celui de Ney ouvrait la liste. Prévenu par sa femme, il alla chercher un asile dans le Gantai, au château d’une de ses parentes, Mme de Bessonis. Sur la dénonciation d’un royaliste zélé, le préfet dépêcha la gendarmerie et fit cerner le château. Le proscrit aperçut de sa fenêtre le capitaine. « Qui cherchez-vous ? demanda-t-il à l’officier. — Le maréchal Ney. — Montez ici, monsieur, je vais vous le faire voir. » Et il se livra. On l’amena le k août à Aurillac. M. Welschinger a relevé le procès-verbal d’inventaire des effets qui garnissaient le porte-manteau du prince de la Moskowa ; je le recommande aux curieux qui voudraient savoir de quoi se composait la garde-robe d’un maréchal de France en 1815. Ils seront peut-être surpris d’y trouver douze gilets de flanelle ; chose toute simple sans doute ; mais on ne se figurait pas le brave des braves avec autant de gilets de flanelle. Oh ! le document !


II

Le maréchal fut conduit d’Aurillac à Paris par deux officiers de la garde royale ; aux relais, il essuyait les outrages de la foule, et, chose plus pénible encore, les insolences des Wurtembergeois qui occupaient le Nivernais. Ces misérables lancèrent des pierres contre la chaise de poste où l’on emmenait prisonnier le soldat qui les avait tant de fois sabrés. Le 19 août, pendant que Labédoyère tombait dans la plaine de Grenelle, Ney était incarcéré à la Conciergerie. On lui affecta une cellule située au-dessus de celle où était détenu M. de Lavalette. Ce dernier, qui allait s’évader grâce au dévouaient de sa femme, a rapporté dans ses Mémoires comment il entendait le maréchal se distraire en jouant de la flûte. « Il aimait à répéter sur la flûte une valse que j’ai eue longtemps en souvenir et que je me surprenais à fredonner dans mes rêveries du soir. Je l’ai retrouvée une seule fois, en Bavière, dans un bal champêtre, sur les bords du lac de Starnberg. L’air de cette valse était doux et mélancolique et me rejeta violemment dans les souvenirs de la Conciergerie. Je me sauvai en fondant en larmes et en prononçant avec amertume le nom de l’infortuné maréchal. »

M. Decazes fit subir à son prisonnier un premier interrogatoire. Comme il pressait Ney sur la question de préméditation et le sommait d’expliquer la volte-face subite du 14 mars, le maréchal répondit en termes fort justes : a On peut dire que c’était comme