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impassible, lorsque l’Italie s’annexait les meilleures provinces des États de l’Église, et pourtant les conditions étaient alors plus favorables pour qu’elle pût intervenir. Mais il faut qu’il y ait eu, dans le langage ou la conduite du chancelier de l’empire, quelque chose d’ambigu, d’équivoque, par rapport à la question romaine, — (ne fût-ce que sa qualité de protestant qui, comme premier ministre de la monarchie apostolique, l’obligeait à plus de réserve), — il faut qu’il n’ait pas réussi à rassurer les libéraux, partisans de l’Italie royale, plus que les cléricaux, fidèles au saint-siège, car il raconte lui-même dans ses Mémoires que, « à la première session qui suivit sa retraite, un député de la Styrie, le docteur Rechbauer, qui ne lui était nullement hostile, manifesta sa satisfaction que l’Autriche fût enfin en bons rapports avec l’Italie[1]. »

Donc, du côté de l’Autriche, « indifférence », mais ni « sympathie, » ni « plaisir. » Il ne s’agit pas de savoir, en ce moment, si M. Jules Favre avait ou n’avait pas, dans ses expressions, dépassé le sentiment de la France : ce qui est sûr, c’est que M. de Beust qui, secrètement peut-être, avait poussé l’Italie vers Rome, qui en tout cas ne l’avait pas arrêtée officiellement, diplomatiquement, parlant au nom de son maître, devant le fait accompli, ne dépassait pas la première expression de M. Jules Favre : il regardait.

« On rencontra le plus sérieux obstacle là où l’on se serait le moins attendu à le trouver, en Prusse, ou dans la confédération du nord. » Avant la guerre franco-prussienne et l’occupation de Rome, il n’existait pas, en Prusse comme en Autriche, de parti parlementaire clérical important. La Prusse paraissait devoir être ou bienveillante (pour l’Italie) ou bien, au pis aller, indifférente. « Bienveillante » n’est pas trop dire, si l’on se reporte aux communications de M. Brassier de Saint-Simon, ministre de Prusse à Florence.

« La presse et les agens aux gages de la Prusse dans la péninsule n’avaient pas attendu que la guerre fût déclarée pour se mettre à l’œuvre. Le 17 juillet, des démonstrations éclataient dans tous les grands centres de l’Italie. » À Florence même, « des rassemblemens se formèrent sur la place du Dôme ; des orateurs de carrefour haranguèrent la foule, qui se mit en mouvement, précédée d’un drapeau italien. Après avoir stationné et vociféré devant le ministère des affaires étrangères, les manifestans se portèrent aux Caséines devant la légation de France. Ils criaient : Vive la Prusse ! Vive la neutralité ! Vive Rome ! À bas Mentana ! Sur d’autres points, on criait : A bas la France ![2]. » On eût juré,

  1. Mémoires du comte de Beust, t. II, 1866-85, p. 412.
  2. Rothan, l’Allemagne et l’Italie, t. II : l’Italie (introduction), p. 59. — Comp. Chiala, op. cit., p. 84. — « Tant que les Français occupaient une partie des États romains, c’était l’intérêt prussien de pousser les Italiens sur Rome, afin de provoquer un conflit entre les deux nations et de rendre impossible une alliance italo-française. Mais une fois que la France eut décidé de retirer ses troupes, la question changeait d’aspect aux yeux de la Prusse. À partir de ce moment, elle cesse de pousser les Italiens à l’occupation de Rome ou tout au moins elle le fait plus mollement. »