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somme de 60,000 livres, au moyen de laquelle on put leur payer les gages arriérés qu’ils réclamaient[1]. Les doctrines révolutionnaires trouvèrent, dans cette population rude, grossière et mécontente, un terrain particulièrement favorable à leur développement. L’arsenal devint un lieu de prédication politique et d’ardente propagande. Des orateurs improvisés, d’une éloquence triviale et brûlante, comme il s’en trouve parmi ces Maucots, annonçaient à leurs camarades d’ateliers la grande régénération sociale qui se préparait. La masse des ouvriers se laissait peu à peu gagner à la griserie des grands mots de liberté, d’égalité, de fraternité ; et c’était comme une aube de justice que ces déshérités voyaient se lever devant eux ; ils s’emplissaient la cervelle de formules dont nous ne pouvons plus sentir aujourd’hui le charme magique, parce qu’une longue expérience nous a montré ce qu’elles portaient en elles de décevant et de dangereux : les « droits du peuple, » la « volonté de la nation, » la « fraternité des hommes ; » ils apprenaient enfin le catéchisme de la religion nouvelle : un catéchisme étrange qui ne prescrivait plus, comme l’ancien, la soumission et l’humilité, mais qui recommandait l’esprit d’indépendance comme la plus belle manifestation de la dignité de l’homme et du citoyen. Les nouvelles de Paris, apportées par le Courrier d’Avignon ou par les lettres de Meiffrin, député de Toulon à l’assemblée, que le consul Roubaud faisait aussitôt imprimer et afficher, étaient commentées avec passion[2]. On frémissait d’enthousiasme à l’écho de la grande voix de Mirabeau, refusant, au nom du tiers, de se soumettre aux injonctions de Louis XVI[3] ; on s’habituait à cette idée que le roi n’était plus le souverain, que sa volonté devait capituler devant celle des représentans de la nation, et que ceux-là seuls parmi les membres de l’assemblée étaient les sincères amis du peuple, et, par conséquent, les véritables représentans de la nation, qui poussaient aux mesures restrictives de l’autorité du monarque ; surtout, on s’entretenait avec horreur d’une vaste conspiration formée contre la liberté naissante, ténébreux complot où l’imagination échauffée de ces pauvres diables ignorans et crédules englobait le roi, l’Autrichienne, les princes, le clergé, la

  1. Henry, I, p. 57.
  2. « Les doctrines révolutionnaires avaient pris un cours secret et régulier ; elles arrivaient dans le Midi et sous un ciel volcanisé ; on les donnait en pâture à des âmes exaltées… Les orateurs de la nouvelle école surgirent des ateliers de l’Arsenal et de quelques magasins de la ville… » (Lauvergne, p. 14.)
  3. « La déclaration que la séance royale vit éclore le 23 juin fut connue et affichée. Les patriotes l’enregistrèrent comme une victoire, et leurs démonstrations devinrent de plus en plus orageuses. » (Lauvergne, p. 15.)