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Mexico, Puebla, San-Luis de Potosi, Zacatecas, perdue à trois mille mètres d’altitude dans la région aride des mines d’argent, Guadalajara surtout, la merveille du pays, témoignent par leurs monumens imposans et la valeur artistique des écoles d’architecture et de peinture qui s’y sont développées, du génie créateur et de la puissance de leurs fondateurs[1]. Ce que les Français et les Anglais faisaient à cette époque au Canada, en Virginie et dans la Nouvelle-Angleterre ne saurait être comparé à leur œuvre.

Les Espagnols détruisirent à la longue l’effet de ces grandes qualités par leurs erreurs économiques. Les colonies n’étaient à leurs yeux que des champs d’exploitation pour la mère patrie. Les Anglais du XVIIe et du XVIIIe siècle ne pensaient, sans doute, pas autrement ; mais leurs colons avaient apporté avec eux assez des traditions et de la pratique du self-government local pour empêcher l’application de ces théories, tandis que, dans les colonies espagnoles, le prestige de la monarchie, représentée par ses vice-rois, sur des populations portées de longue date à la soumission, et la puissance administrative exercée par les intendentes et autres officiers royaux envoyés de Castille, permirent d’appliquer à la lettre les ordonnances du Conseil des Indes. Au Mexique en particulier, en dehors du travail des mines d’argent, les règlemens administratifs découragèrent toutes les industries qui auraient pu faire-concurrence à celles de l’Espagne. La culture de tous les produits qu’elle pouvait exporter, vignes, oliviers, tabac, safran, chanvre, fut interdite aux colons, qui demeurèrent ainsi privés des sources les plus fécondes de richesse.

Bâtisseurs à l’égal des Romains, les Espagnols n’eurent pas la prévoyance de créer comme eux un réseau de routes. Des sentiers à mulets leur suffisaient pour transporter le minerai d’argent, le seul produit auquel ils s’intéressaient. Sa valeur était telle qu’ils ne se préoccupaient pas de l’élévation des frais de transport.

Par suite de la même erreur économique, toutes les dignités civiles et ecclésiastiques étaient réservées aux Espagnols natifs ; les créoles étaient en réalité traités en suspects. Aussi le grand ébranlement causé dans le monde par la révolution française eut son contre-coup dans ces terres lointaines. Dès 1789, une fermentation sourde régna chez les créoles et les métis, et, quand, sous

  1. C’étaient surtout les moines qui bâtissaient. Néanmoins le palais des vice-rois à Mexico, ceux des intendans dans les provinces et plusieurs hôtels des monnaies sont de fort beaux édifices civils. On a relevé jusqu’à cent vingt et un peintres venus d’Espagne ou nés dans le pays qui ont laissé au Mexique des œuvres de valeur. Voyez Mexican Painting and Pointers : a brief sketch of the development of the spanish school of painting in Mexico, by Robert HI. Lamborn. New-York, 1891.