Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 116.djvu/312

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fidèles attendent leur tour ou bien restent en prières, contens d’être tout près du tabernacle où ils n’ont pas le droit de s’attarder. — J’allais partir quand, tout d’un coup, une surprise : là, près de moi, dans l’ombre, j’ai senti et maintenant je vois un être vivant, immobile, si rigide dans son attitude d’extase que je ne l’avais pas aperçu. Collée au mur, les bras levés dans ses voiles, telle qu’une chauve-souris clouée là, c’est une femme, mais de son âge on ne peut rien dire. Un morceau de la figure est seul visible, montre des traits de momie ; sous l’étoffe on sent flotter un corps rétréci qui fait songer aux reliques vivantes. Longtemps ses mains osseuses restent tendues vers le ciel, mais tout d’un coup elle s’est courbée, elle effleure la terre de l’index, et se redresse, se signant du grand geste grec, minutieusement, avec lenteur, touchant de ses doigts termes son Iront, ses genoux, ses épaules, la droite et puis la gauche. Un instant, elle croise ses poignets sur sa poitrine, et voici qu’avec une rigidité de morte, levant en haut ses yeux qui ne voient rien, elle a repris la pose d’extase, la longue pose qu’il semble qu’elle ne va plus quitter. Mais soudain la même série de gestes recommence, se répète toujours infatigablement, jusqu’à ce que je m’en aille, sans qu’elle tressaille, sans que s’émeuve sa prunelle fixe.

Bien souvent je suis revenu dans ce sanctuaire, et chaque fois je l’ai trouvée là dans l’antichambre, collée contre son mur, debout sur un petit tapis qu’elle apporte le matin, décrivant le cercle régulier de ses gestes, tendant ses mains au ciel, et puis baissée vers la terre, et puis se signant toujours. — D’où vient-elle, cette sœur chrétienne des brahmes ? Qu’y a-t-il dans cette âme ? Une flamme constante, tranquille, brûlant sans trêve dans son corps mortifié, comme la lampe qui veille avec elle près du tombeau ? Ou bien le vide est-il fait dans son esprit ? N’y a-t-il plus que le ressort machinal qui dévide sans se lasser la même roue monotone ?

Je fais encore une fois le tour de la basilique. Quelques pas font voyager l’esprit d’un monde à l’autre, lui font traverser de longues périodes de la durée. Les franciscains tondus chantent dans leurs stalles, et ces costumes comme cette musique rappellent notre moyen âge occidental, évoquent vaguement le rêve religieux de notre catholicisme.

À présent, ils sortent, cierges en main, et leurs profondes voix mâles, s’élargissant sous les voûtes sonores, déroulent un monotone et douloureux plain-chant. Ils ont des yeux ardens, ces Italiens, de beaux gestes tragiques. De station en station, de chapelle en chapelle, ils vont, suivis par une foule pieuse qui à chaque étape s’agenouille tout entière derrière eux ; ils vont illuminant