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guerre fut déclarée au livre, cause de tout le mal ; tous les exemplaires de la Thora qu’on put trouver furent détruits. Chaque mois, des inspecteurs passaient pour saisir les volumes de la Loi, pour voir si quelque cas nouveau de circoncision s’était produit. Aux bacchanales, tous étaient obligés de prendre part à la fête, couronnés de lierre[1]. L’interdiction légale du porc donnait lieu à mille taquineries. Les cours du temple devinrent le théâtre d’orgies ; les païens venaient s’y livrer à la débauche avec des courtisanes. On raconta des faits horribles, exagérés sans doute. Deux femmes furent amenées aux juges pour avoir circoncis leurs enfans ; on les leur suspendit aux mamelles ; les malheureuses furent ensuite précipitées du haut des murs. Des gens qui s’étaient retirés dans une caverne pour célébrer le sabbat se laissèrent enfumer plutôt que de faire un mouvement pour se défendre[2]. De nombreuses légendes de martyrs se formèrent. Le vieillard Éléazar qui se refuse à une fiction innocente pour sauver sa vie[3], la mère qui assiste au supplice de ses sept fils[4]et les encourage, sont le premier type de ces récits qui devaient faire la fortune du christianisme[5]. Les Actes des Martyrs, comme toutes les branches de la littérature chrétienne, ont leur racine en Israël.

L’ébranlement terrible qu’un état de choses aussi tragique dut causer dans la conscience du pauvre Israël se traduisit sans doute en prières ardentes, en élégies. La forme de l’élégie et de la prière, en Israël, c’était le psaume. Il se produisit donc sûrement des morceaux de ce genre, qui peut-être furent écrits[6]. Mais de pareils morceaux figurent-ils dans le recueil actuel des Psaumes ? C’est un des points sur lesquels il est le plus difficile de se prononcer. L’âme d’Israël n’était pas changée, mais la langue était changée, et nous croyons que des pièces composées au temps d’Antiochus ne seraient pas si difficiles à discerner des pièces classiques plus anciennes[7].

  1. II Macch., VI, 27.
  2. II Macch., VI, 4-11 ; Daniel, XI, 33 35.
  3. II Macch., VI, 18 et suiv.
  4. Ibidem, VII, 1 et suiv. Comp. ce qu’on appelle le IVe livre des Macchabées, Orig. du Christ., V, 303 et suiv. Sur les textes juifs, voir Zunz, Die gottesdiensilichen Vorträge der Juden, p. 124.
  5. Les invraisemblances sont les mêmes : Antiochus présidant aux supplices, etc.
  6. On en trouve des traces dans I Macch., I, 25 et suiv. ; 38 et suiv. ; II, 6 et suiv., 51 et suiv.
  7. Les psaumes XLIV, LXXIV, LXXIX, LXXXIII, surtout, conviennent parfaitement à ce temps ; mais, après tout, rien ne s’oppose à ce qu’ils soient plus anciens, ces anavim s’étant souvent trouvés dans des situations analogues. Ces psaumes sont de la plus belle langue classique, du style le plus relevé, souvent (LXXIV surtout) pleins d’obscurités et de fautes de copistes. Or la langue, à l’époque des Macchabées, était extrêmement abaissée et le génie poétique perdu ; le stylo est plat, prolixe à la façon araméenne, n’offrant jamais aucune difficulté quand l’auteur ne fait pas exprès de contourner sa pensée. On en peut juger par le livre de Daniel, par les pièces originales qu’on entrevoit derrière le premier livre des Macchabées, par les cantiques que la rhétorique de ce temps sème à tout propos et dont le ton est si faible. Notez surtout la fade prière, Daniel, IX, 4 et suiv. ; Comp. les cantiques du chap. III. Si l’époque des Macchabées avait produit des psaumes, ces psaumes formeraient un groupe reconnaissable dans l’un des cinq livres qui composent le recueil actuel, ou plutôt ils formeraient un recueil à part qu’on n’eut pas attribué à David. Le Psautier de Salomon, peu postérieur aux Macchabées, a-t-il pu jamais être confondu avec le psautier davidique ? Tout porte à croire que le recueil canonique des Psaumes était clos et même traduit en grec à l’époque des Macchabées. (Sirach, prol. et XLVII, 6 et suiv.) Il s’ajoutait encore des livres à la fin du volume biblique (Daniel, Ecclésiaste, Lamentations) ; mais le volume ancien ne se desserrait plus ; on n’osait plus y rien introduire. Le style de la traduction grecque des Psaumes est uniforme ; cette traduction est l’œuvre d’un même écrivain. Les psaumes macchabaïques, s’il y en avait, trancheraient sur le reste dans le grec comme dans l’hébreu. Le psaume qui paraît le plus macchabaïque, le psaume LXXIV, est cité dans le premier livre des Macchabées (ch. VII, 16-17), comme un vieux texte prophétique. Comparez l’allusion à Ps. XCII, 8, dans I Matth., IX, 23. Ajoutons que le Psautier de Salomon suppose le Psautier canonique clos et attribué tout entier à David.