Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 116.djvu/253

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

flots de sang, et, guidé dans ses méfaits par l’odieux Ménélas, pilla le temple, dont il emporta à Antioche les objets les plus précieux[1].

La situation était horrible ; tout sentiment de moralité paraissait détruit ; Dieu vraiment semblait avoir totalement détourné sa face de dessus son peuple. Et cependant, l’on vit pis encore. En 168, Antiochus fit en Égypte une nouvelle expédition brusquement arrêtée par le cercle de Popilius Laenas. Il reprit furieux la route du Nord ; toute sa rage tomba sur Jérusalem[2]. Peut-être les accointances, déjà sensibles, des Juifs conservateurs avec les Romains furent-elles la cause secrète de cette volte-face, inintelligible au premier coup d’oeil. Cette fois, c’est une abolition complète du judaïsme qu’il voulait. Le moyen d’exécution était clair et radical. Il consistait à chasser l’ancienne population, et à la remplacer par une colonie grecque ou hellénisante[3]. Rien n’était plus ordinaire à cette époque que de pareilles substitutions. Presque toutes les villes macédoniennes de Syrie devaient leur origine à un Veteres migrate coloni plus ou moins brutal. Nous verrons bientôt les Juifs pratiquer les mêmes procédés[4]quand ils seront les plus forts. Antiochus chargea un de ses agens fiscaux, nommé Apollonius, de l’exécution de ces mesures. Beaucoup de Juifs quittèrent la ville ; beaucoup restèrent et furent mis à mort ; leurs femmes et leurs enfans furent vendus comme esclaves. Le reste apostasia. Des païens furent amenés pour remplir les vides laissés par l’expulsion ou l’extermination de la population juive. Il y eut ainsi quelques mois et même quelques années où Jérusalem ne compta pas un seul habitant juif. Adonaï manquait outrageusement à sa parole ; toutes les promesses, toutes les prophéties étaient anéanties.

Les Syriens apparemment se fiaient peu à la nouvelle colonie qu’ils avaient amenée dans Jérusalem ; car ils firent raser les murs de la ville, qu’ils envisageaient comme un appui permanent laissé à la cause juive, et ils se firent construire, sur la colline opposée à Sion[5], une citadelle à part qu’ils appelèrent Akra, qui pût servir de fort à leur garnison et de refuge à la population

  1. I Macch., I, 20-24 ; H, 9 ; II Macch., V, 1-21 ; Jos., Ant., XII, V, 3 ; Contre Apion, II, 7.
  2. Daniel, II, 30-31.
  3. I Macch., I, 29-40 ; II Macch., V, 23-26 ; Jos., Ant., XII, V, 4. Comp. I Macch., I, 30-32, 38 ; II Macch., V, 24 ; Daniel, VII, 25 ; VIII, 11 et suiv. ; IX, 27 ; II, 31 et suiv. ; XII, 11.
  4. A Jaffa, à Gézer.
  5. Celle où est Nebi-Daoud, le prétendu Sion des topographes traditionnels.